Madness - Kalalli

Un doux rêve que celui-ci, paisible et aimable. Des champs et des chants, des filles aux cheveux de blés courant dans la prairie en chantant. L'insouciance, la joie, la nature, l'enfance. Et des serpents. Des dizaines de serpents, des centaines de serpents ! Des flots entiers de ces reptiles qui coulaient hors de chaque brin d'herbe, hors de chaque fleur. La petite fille riait aux éclats. Ou bien hurlait-elle de terreur ? Sa voix fluette s'atténua, puis s'éteignit, puis le monde explosa.

Un paradis blanc, flou, sombre à nouveau, froid, mais d'une chaleur étouffante et oppressante. Il ne pouvait plus respirer, il se noyait, une galerie souterraine innondée, de la spéléo, les bouteilles sont coincées ! La panique ! Il lui faut de l'air. De l'air !

Il se redressa brusquement. Une forêt. L'hiver. La neige. Les flocons qui tombent, idylliques. Un lac, mais la glace cède. Tout est si froid ! Les abysses profondes qui le happent inexorablement. Il fait noir. Il fait chaud. Il y a quelqu'un qui chante et danse autour d'un feu. Ils sont nombreux. Ils se jettent dans les flammes !

Tout ceci n'a pas de sens.

La grande horloge tourne à l'envers. Quel jour sommes-nous ? Il semble soudainement si vieux ! Que s'est-il passé hier ? Quel jour était-on ? Était-il déjà assis là, contre ce mur molletonné, sur ce sol matelassé ? dans cette pièce d'une pâleur mortelle ?

Qui sont ces gens autour de lui ? Des rêves ? Ils jouent, le regardent, puis ils crient, paniquent. Des insectes sortent du sol pour les dévorer, alors qu'il n'y a pas plus d'une minute, il ne s'agissait que d'inoffensifs papillons colorés. Ou bien était-ce hier ? Ou bien était-ce il y a un mois déjà ?

Qu'est-ce qu'il faisait ici ? Comment était-il arrivé là ? Les questions se pressaient dans sa tête... Et y délogeaient une douleur aigüe, comme si quelqu'un y avait placé un oursin. Un enlèvement ? Un enfant naïf s'était rendu au mauvais endroit. On l'avait pris. On l'avait emmené. On l'avait torturé. Il criait de terreur, appelait ses parents. Où l'avait-il rencontré ? Était-ce lui, Kalalli ? Était-ce encore un rêve ? Ou bien la réalité ?

Et quel était ce chat qui se tenait assis, à l'observer fixement ? Était-ce encore un rêve ? Il lui rappelait quelqu'un qu'il avait connu il y avait très longtemps. Son regard était vide. Il avait traversé la porte, et s'était évaporé. La porte. Il y avait une porte. Qu'allait-il trouver derrière ? Le rêve, ou bien la terreur ?

Le blanc. Le jaune. Le rouge. Des couleurs chaudes. Puis le vert. Et à nouveau du jaune. Des filles blondes courraient et chantaient dans un champs féérique aux multiples fleurs. Un ciel magnifique aux couleurs pures une légère brise. Un bien être étrange s'emparait de l'esprit du garçon qui observait la scène sans réellement savoir où il était ou bien même ce qu'il était. Il était là, simplement. Puis les brins d'herbe qui s'agitaient au gré du vent grandirent, grossirent et s'allongèrent. Les formes se faisaient plus précises et leur bout devinrent des têtes de serpents !

Partout, des reptiles apparaissaient. Incapable de bouger dans cette version éthérée de lui même, peut être aussi paralysé par la peur, Kalalli ne pouvait qu'observait la terreur qui s'abattait sur ce petit paradis étrange. Les rires s'étaient transformés en cris ambigus mêlant joie et crainte devant les langues bifides qui faisaient de rapides va-et-vient visibles. Puis la terre se craquela et des monts se dressèrent en une fraction de seconde, emportant sur son passage toutes les créatures. Une déflagration vomie par les entrailles de la terre emporta soudainement le garçon qui se sentit s'envoler et flotter.

Tout avait disparu. Il ne restait plus rien que du blanc. Partout. Si lumineux. Si beau. Si pur. Si profond. Rien n'y était net. Pas même son propre corps qu'il ne voyait d'ailleurs pas réellement. Puis plus rien. Le noir le plus total. Il fait froid. Il fait chaud. Il ne sait pas. Il ne sait plus. Sa poitrine est compressé. La respiration se fait difficile. Le sternum est bloqué. Il faut forcer pour la moindre bouffée d'air. De l'air... Il n'en a plus. Il n'y en a plus.

De l'eau, partout ! Brulante, bouillante, des murs humides, gouttant. Une gallerie totalement inondée. De l'air ! Vite ! Mais il n'y voyait rien. D'où venait-il ? Pourquoi ses bouteilles d'oxygène étaient-elles vides ? Pourquoi ? Au secours... Quelqu'un... Un dernier mouvement réflexe.

La forêt. Ce n'était qu'un rêve. Partout de la neige. Des flocons. Une si belle pureté. Il était chez lui, dans une neige rassurante. Tout allait bien. Mais un craquement. Sous lui. De la glace. Un lac gelé. Il est comme aspiré. Les fragments d'eau gelée. Le liquide gelé. Il fait si froid. De l'air. Les nerfs sont perdus. Si froid... Si chaud. Il ne sait plus. De l'air. Le fond l'attire. La surface s'éloigne. Le noir. Total. Des voix. Des chants. Du feu. Ils se jettent dedans. Il a peur.

Quand. Comment. Pourquoi. Où ? Combien. Les sens sont déconnectés. Plus rien n'en a. Il est perdu. Il ne sait plus. Il n'est plus rien. Nulle part. Jamais. Ou toujours ? Il se sent fou. Une salle. Des protections, partout. Si molles. Si pâles. Et lui ? Quel âge a-t-il ? Depuis quand ?

Ils sont nombreux. Partout. Il s'activent, ils jouent, ils hurlent. Des insectes les dévorent. Il s'éloigne. C'est immonde. Ils disparaissent. Ils étaient pourtant si beaux, ces papillons colorés, virevoltant dans ce ciel il n'y avait pas si longtemps. Surement. Probablement. Peut être.

Le garçon avait ouvert les yeux. Il était perdu. Aucune vivacité dans le regard ou dans les gestes. Il n'y arrivait pas. Il avait mal au crâne. Il ne comprenait rien. Qu'était ce rêve encore ? Pourquoi ces choses s'entrechoquaient dans son esprit et dans son âme ? Il l'avait vu pourtant. Cet enfant, hurler de terreur. Il ne le connaissait pas. Du moins, il lui semblait ne pas le connaître. Il ne savait plus rien. Il n'était pas là de son plein gré, c'était évident. Mais ce chat. pourquoi le fixait-il comme ça ?

" Minou... "

Sur des jambes peu assurées, l'Inuit se releva en tentant de s'aider de ses bras mais le chat partait. Ses bras. Il n'en avait plus. Rien n'apparaissait devant ses yeux. Il ne remuait rien. On lui avait coupé les bras ! Pourtant le garçon était debout par il ne savait quel miracle. Ses bras, il n'en avait pas besoin.

" Reviens minou ! "

Kalalli fit quelques pas pour le rattraper. Il le connaissait bien. Il en était sûr. Mais le chat venait de disparaitre.

" Minouuuu ! " lui sembla-t-il s'exclamer, déçu.

Dans un dernier mouvement un peu plus brusque qu'il ne le voulait, il avait sauté contre la porte que l'animal avait traversée tel un fantôme, et avait mollement rebondit avant de tomber sur les fesses, sans manquer de basculer en arrière sans pouvoir se retenir des mains. Et puis il se rassit. Les jambes légèrement fléchies devant lui, face à la porte.

" Me laisse pas seul... Je t'en supplie... " lâcha-t-il en étouffant un sanglot, la tête tombant en avant.

Il ne comprenait plus rien. Il était totalement perdu. Il n'arrivait même pas à raisonner. Mais probablement fallait-il en avoir une, de raison, pour pouvoir raisonner...

Une nouvelle chute. Sans fin. Une falaise. Le grand canyon, dans le Colorado, et quelqu'un qui s'y jetait. Une nouvelle terreur l'envahissait, suivie immédiatement par le contact agréable d'une mousse parfumée. De la fraise. Des bulles chatoyantes voletaient dans un ciel sans nuages. De toutes les tailles. Certaines avaient capturé des personnes qui, prisonnières, hurlaient de terreur en frappant le mince film de savon, tentant de le faire exploser. Y parvenant, parfois, les précipitant dans un vide qui avalait jusqu'au dernier son de leur ultime cri. Parfois, résignés, ils restaient assis, à attendre que la bulle n'explose, et disparaissaient.

Kalalli était dans sa propre bulle, et passa à travers. Et une nouvelle chute. Sur le moelleux du matelas au sol. À quelques accessoires noirs près... Des bottes... Quelqu'un ?


Deux yeux aveugles le fixait...

"Tu n'as pas été très sage dernièrement, mon petit inuit..."

Un bruit étrange cingla. Un fouet ! La douloureuse morsure du fouet le prit dans le cou. Il pouvait nettement sentir la lacération, le choc rayonnait dans tout son buste comme des décharges électriques. Cassandre semblait s'amuser à ce petit jeu.

"Non... Vraiment pas très sage... Il va encore falloir te punir, et cette fois-ci, tu ne pourras pas me raconter d'histoires..."

Une nouvelle fois, l'air siffla à ses oreilles, c'était son bras qui avait encaissé le choc, même s'il pouvait presque penser qu'il s'agissait de sa tête tant celle-ci était sur le point d'exploser. À nouveau une bulle de savon... Elle était légère, prête à éclater. Il y en avait partout dans la pièce. Et à travers elles, hideusement déformé par leur courbure, et étrangement coloré par les irisations du savon, il pouvait voir, entre les jambes de Cassandre, un chat se découper dans l'encadrement de la porte ouverte, l'observant.

Un nouveau vertige. Une longue chute. Il était le long d'une falaise. Quelqu'un tombait avec lui. Ou c'était lui qui tombait ? Le sol s'approchait. Il avait cru hurler. De la mousse. Il se sentit retenu par de la terre moelleuse. De la fraise. C'était ça, l'odeur. Son parfum de glace préféré. Partout des bulles colorées au travers des rayons du soleil dans un nouveau ciel bleu.

Mais les bulles n'étaient que prison. Ils hurlaient, ces gens. Enfermés dans le savon. Ils grimpaient dans le ciel et essayant de sortir. Des corps... Partout. Il pleuvait des corps.

" Non, STOOOOP " hurla-t-il.

Le garçon se prit la tête entre les mains en fermant les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, il était dans l'une d'elle. Dans une bulle. Non ! Pourtant elle se déroba. Son corps traversa le savon. Une nouvelle chute. Lui parmi les corps. Encore. Il n'était plus qu'un corps vide, attiré par le sol qui grandissait à mesure qu'il chutait.

Encore ce matelas moelleux. Il ne tombait plus. Du moins lui sembla-t-il, totalement déboussolé. Pourtant il n'était plus seul. Des bottes. Quelqu'un était avec lui. Désorienté, il leva son regard vide et fatigué vers celui opaque de la personne qui lui faisait face. Ses yeux s'écarquillèrent de surprise. La fin du cauchemar ?

" Cassandre, aide-moi... "

Elle lui disait qu'il n'était pas sage. De quoi parlait-elle ? L'air claqua. Une décharge violente lui parcourut le corps, provenant du cou. C'était un fouet ? Le garçon gémit de douleur en se laissant tomber de côté. C'était la sensation qu'il avait. Chuter à nouveau. Elle voulait le punir.

" Non, je t'en supplie, ne me fais plus de mal... Je t'en prie... "

Il entendit encore ce son caractéristique qui fendait l'air. Il hurla de douleur. Tout son bras était endolori. Ses yeux embués. Sa tête. Sa pauvre tête allait exploser. Il se sentait à bout. Pourquoi Cassandre ? Une bulle. Un mur de savon. Faible protection. De l'aide. Au secours. Le chat, entre les jambes de l'aveugle. Kalalli tendit la main vers lui. Du moins le croyait-il. Il n'avait plus de bras.

" Minou... "

Sans réellement comprendre ce qu'il faisait, obsédé par le félin, il se traîna vers lui en poussant sur ses jambes.

Cassandre ne répondit pas à Kalalli, se contentant de lui planter un talon aiguille dans le bras, qui semblait l'avoir transpercé de part en part, et planté dans le sol comme un papillon.

D'ailleurs, en parlant de papillon, il y en avait partout dans la pièce maintenant. D'énormes papillons multicolores, comme on les voit uniquement dans les livres.. Ils volaient partout dans une grande prairie verte et ensoleillée, pleine de fleurs gigantesques et odorantes.

Et là dedans, une femme brune. Mais ce n'était pas Cassandre. Elle était vêtue bizarrement... Une jupe en laine bouillie, un chemisier de lin blanc, et un gros chapeau colonial sur la tête. Elle avait un grand filet à papillons qu'elle agitait en tous sens en riant aux éclats.

Le filet s'abattit, et tomba directement sur la tête de Kalalli. Il se débattait, étouffait, et se retrouva à nouveau face à Cassandre. Elle était debout, inexpressive, en travers de la porte ouverte, bras croisés. Regardant de ses yeux aveugles quelque chose qu'elle seule pouvait voir.

Elle seule ? Était-ce à ce point une certitude ?

Le regard fixé sur l'image du chat, l'Inuit ne vit pas venir le coup de talon aiguille dans le bras. Ce même bras qu'il pensait avoir perdu. Une douleur terrible le saisit et il hurla en se recroquevillant, comme si cette simple action lui épargnerait cette sensation qui lui parcourait tout le bras au rythme de ses pulsations cardiaques. Lorsqu'ils rouvrit les yeux, des papillons volaient partout autour de lui. Il se sentait à nouveau partir. Il n'était plus entre ces murs de matelas. A nouveau, la prairie, gigantesque, verte, ensoleillée.

Malgré tout il souffrait. Ces multiples allés et retours entre ces univers perdus de son esprit, entre fantômes dansants et réalités altérées lui vrillaient l'esprit bien au delà des migraines retentissantes. Il ne savait plus d'où provenait tous les stimulis. De son imagination, de sa vue, de son audition, de son passé et pour ce qui était de la vérité : de son présent. Un présent anéanti, perdu entre des périodes infiniment longues d'errance dans des mondes de souffrance, de déchirure, de blessure, de tourments, avec des lieux remplis de plénitude, de calme et de paix malsains et insignifiants.

Mais ces derniers ne parvenaient plus à équilibrer la balance de la raison. Tout n'était que mensonge. La douleur le rendait fou. Cette prairie aux papillons et aux fleurs odorantes aussi. Cette fille qui courait et riait. Ces rires l'insupportaient. Du calme. Juste du calme. C'était tout ce qu'il voulait. Soudainement il sentit le filet à papillon s'abattre sur son crâne et l'y emprisonner. Sa respiration se bloqua sans raison. Il étouffait. Encore. Dans des réflexes purement instinctifs, le garçon se débattait comme s'il restait la moindre chance de déchirer cette toile oppressante.

Et puis plus rien. Encore. Mais pour un court instant. Trop court. A nouveau, Cassandre. Sur le palier de la porte. Kalalli serra sa mâchoire à s'en rendre les gencives douloureuses. Comme un animal mourant, meurtri par un adversaire plus puissant qui lancerait un dernier assaut désespéré qui lui couterait la vie, l'illusionniste attaqua mentalement cet être aveugle démoniaque qui prenait tant de plaisir à le faire souffrir. Il ne savait même pas s'il s'en sentait capable. Mais dans son état, il n'était plus à ça près...

La sensation qui étreignit Kalalli était surprenante et dérangeante. Elle était très loin de la réalité, mais après un bref temps, elle s'avéra être réelle... Une réalité très lointaine, en fait. Il ne se passait rien. Une sensation enfouie dans des souvenirs qu'il peinait à démêler, entre les jeunes filles rieuses, les alpinistes enfouis sous des avalanches, n'osant même hurler leur terreur de peur d'être encore plus vite étouffés par la neige, les fantasmes d'adolescent, et une enfance. Une enfance qui n'avait pas connu toutes ces histoires de mutants, ni même aucun pouvoir.

Il n'avait plus de pouvoir. Comme s'il n'en avait jamais eu d'ailleurs. Que faisait-il là ? Y avait-il à ce point eu erreur sur la personne ? Il n'était pas capable de se défendre, ni même d'attaquer d'ailleurs. Tout ce qui s'était passé avant n'était qu'un simple cauchemar dont il avait fini par sortir vainqueur. Mais avait-il à ce point gagné ? Son souffle s'accélérait. Ce ne pouvait être qu'un malentendu ! Qui donc avait bien pu croire une chose pareille ? Qu'il avait des pouvoirs ?

Peut-être était-ce elle ? Cette grande fille en noir qui le regardait fixement ? Mais elle ne bougeait plus. Si... Elle bougeait à présent. Ses bras se levaient, et elle étranglait Kalalli. Il n'avait pas la possibilité de bouger ses bras, ni même de se débattre pour résister aux deux mains qui se serraient autour de son cou. Un dernier hoquet, et tout s'éteignit.

Puis il ouvrit les yeux. La pièce était blanche et vide, il était seul. Allongé contre le mur, tenaillé par la faim et une nouvelle sensation de fièvre. Passa à travers la porte un chat. Il s'assit devant la porte, et le fixa d'un regard réprobateur.

Un coup dans le vent. Il n'avait rien senti. Il ne s'était même pas rendu compte de s'il était parvenu à faire quoique ce soit. Tout était si flou. Il était perdu entre deux mondes, définitivement. La réalité croisait les illusions et autres hallucinations dont il était la victime. Des souvenirs jaillissaient étrangement dans son esprit de sa vie d'avant. Lorsqu'il était un enfant timide et réservé. Sa vie n'était pas passionnante et il avait peur de tout. Mais maintenant, tout était différent.

Quoique ? Est-ce que tous ces évènements extraordinaires pour le commun des mortels s'étaient vraiment déroulés ou avait-il tout inventé ? Etait-ce une création de son esprit malade afin de supporter le véritable cours du temps. Ce temps où il était perturbé. Et si la vérité, c'était qu'il était fou, tout simplement ? Tout ce qu'il ressentait à présent serait la seule chose réelle. Etait-il en train d'émerger dans la réalité comme il sortait d'un cauchemar qui lui avait paru durer quelques années. Peut être davantage, il ne savait même plus depuis quand son esprit l'avait transporté dans ce monde parallèle.

Les filles qui riaient, les alpinistes, les bulles, le chat. Etait-ce des réminiscences de sa vraie vie ? Et cette fille en noir. Et l'autre aveugle... D'où tout cela venait-il ? Avait-il intégré des éléments de sa vraie vie dans son délire mutant ? Elle s'approchait. Elle s'approchait trop en tendant ses bras. Paralysé dans une brume terrifiante, le garçon sentit les deux mains lui entourer le cou et serrer fort. Encore et toujours plus fort. Il aurait tant aimé avoir des bras lui aussi pour tenter de se défaire de cette étreinte mortelle. Il suffoquait. Sa gorge s'enflammait. Il essayait de tousser en vain. L'air ne traversait plus sa gorge. Tout se brouillait à nouveau alors que ses yeux se révulsaient.

Etait-il mort ? Son regard s'ouvrit, épuisé. Il était seul, dans la pièce blanche. Une sensation étrange lui étreignait le ventre. Une sensation familière... C'était la faim ? Il n'en était plus très sûr. Il respirait rapidement. Il se sentait essoufflé, fiévreux. Ses yeux se perdirent sur la porte qui fut traversée par le chat. Encore lui. Kalalli murmura quelque chose d'inaudible.

Il s'appuya sur le mur pour se redresser et tenta de rester sur ses pieds malgré un vertige rapide. Puis l'Inuit s'avança vers le chat qui le fixait.

Il était pénible de marcher. Et même de se tenir debout. Était-ce la faim qui l'épuisait à ce point ? Sa vision se brouillait, son équilibre était des plus précaires, même si on pouvait se demander si ce n'était pas simplement la conséquence de ces fichus matelas au mur et au sol, mais en même temps, il n'avait plus de force. Ses jambes tremblaient presque autant que ses bras, pris par un frisson terrible.

Il faisait si froid tout à coup... À croire que quelqu'un avait laissé la fenêtre ouverte ! Mais il n'y avait pas de fenêtre dans cet énorme frigo dans lequel il se trouvait, rangé entre une bouteille de soda, une botte de poireaux et un paquet de jambon.

Pour le coup, c'en était presque ridicule. Le nouveau changement du décor lui était perceptible avec une redoutable lucidité. C'en était risible. Même le quartier de viande qui pendait au plafond commençait à manquer de réalisme. Il s'était retrouvé enfermé dans une chambre froide, et un instant plus tard, il était de retour dans sa propre chambre. Un plateau repas avait été posé au sol dans un coin, et une vague silhouette blanche était en train de refermer la porte.

Le chat, lui, s'était à nouveau volatilisé.

L'étrange sensation d'un sol moelleux faillit le faire chuter à plusieurs reprises. Il lui semblait que ses jambes s'enfonçaient et le faisaient chanceler. Un épais brouillard l'empêchait de voir de façon distincte le chat. Des sortes de flash blancs apparaissaient soudainement avant de disparaitre avec lenteur comme une persistance rétinienne. L'épuisement physique qui entraînait cette vision trouble lui donnait l'impression d'avoir des fourmillements à l'intérieur du crâne.

Le souffle était court. Pourtant il ne s'était que levé et avait à peine fait quelques pas. Mais c'était trop pour son corps. Dans ce qu'il lui semblait être sa vie "d'avant", il n'avait presque rien mangé ces derniers jours. Il s'était senti faible, mais ce n'était pas comparable avec son état actuel. Son estomac se faisait poignarder à interval régulier et une chaleur diffuse y trouvait son origine, rappelant presque la sensation de crampe. Il était tellement essoufflé qu'il en avait presque envie de vomir.

Soudainement, une vague de froid de plus en plus puissante le parcourut de la tête aux pieds. Il était frigorifié. Est-ce qu'il était dans sa neige natale ? Non... C'était différent. Du givre ? Un arbre était bizarre. Il ressemblait à un poireau. Un frigo. Il se voyait dans un frigo. Il divaguait encore. La nouvelle vie du garçon était faite de douleur et de délires tous plus stupides les uns que les autres. Plus jamais il ne toucherait à l'alcool.

Mais... Il n'en avait pas bu pourtant ? Ses yeux se posèrent sur un morceau de viande pendant. Tout lui paraissait faux. Il délirait encore, consciemment. C'était comme savoir qu'on rêvait. Une sensation étrange où on aimerait pouvoir faire tout ce que l'on voulait alors que pourtant, notre esprit continuait à contrôler ce qui nous apparaissait. Et dans l'immédiat, celui de l'Inuit décida de le ramener à un lieu qu'il connaissait.

Sa chambre. Familière et à la fois lointaine. Avait-elle existé ? L'avait-il rêvée ? Ou inventée. Il ne comprenait toujours pas ce qu'il lui arrivait. Son esprit était embrumé. La porte se refermait sur quelqu'un vêtu de blanc. Au sol, un plateau avait été déposé. Il y avait ce qui semblait être de la nourriture. Il était de retour dans la chambre aux matelas. La chambre de fou. Il était fou.

Et comme un idiot, il fixa la nourriture, debout, à quelques mètres de celle-ci. Il n'avait plus de bras pour manger de toute façon. Il ne savait plus même comment faire. Maladroitement, il mit un pied devant l'autre. Trop épuisé, il se laissa tomber au sol comme un grand immeuble qui s'effondre sur lui même.

Un nouveau rêve habita le sommeil de Kalalli. Du moins, c'était la certitude qu'il avait en se réveillant. Mais il n'en avait pas le souvenir. Cette nouvelle était très réjouissante subitement ! Il avait la sensation de ne plus avoir vu de choses farfelues depuis bien longtemps maintenant... Même si cela ne faisait probablement en tout et pour tout qu'une demi heure.

Autre bonne nouvelle, ses bras bougeaient. Ils étaient ankylosés, et le sang avait du mal à se remettre à circuler dans le bout de ses doigts, mais leur mobilité n'avait pas non plus l'air d'être un rêve. Ceci étant, il était toujours dans la camisole... Il y avait probablement un truc qui s'était détaché pour le laisser manger.

Le plateau repas était toujours là. Ce n'était probablement pas une illusion, mais plutôt de la purée. Quoique... Le chat en train de faire les cent pas à coté, celui là était probablement plus un genre d'illusion...

Lorsque le garçon rouvrit les yeux, il était de retour dans la cellule. Il n'en avait pas bougé depuis son dernier souvenir éveillé. Ses hallucinations semblaient donc se calmer, si on considérait que la pièce actuelle était la "vraie". Le plus surprenant était qu'une sensation lui parcourait les bras.

Il avait de nouveau ses bras ! Surpris, il les observa et essaya de les tendre devant lui, toujours allongé sur le sol. Une vive sensation désagréable lui traversa le corps de l'épaule à la main. Des fourmis assez vives lui crispèrent le muscle sans qu'il ne parvienne à le relâcher. Le moindre mouvement ravivait les picotements forts qui lui prenaient tout le membre.

Restant immobile quelques instants, il attendit que les douleurs disparaissent. Un soulagement certain de sentir ses bras disponibles, Kalalli s'en servit pour s'asseoir et remarqua le chat qui faisait les cent pas. Amorphe, le garçon parvint à peine à réaliser qu'il devait divaguer. Mais ce qui attira son regard fut surtout la nourriture sur un plateau. Une purée orange trônait à côté d'un biberon.

L'Inuit se traina à quatre pattes à côté du plateau, ignorant superbement le chat et attrapa la bouteille d'eau pour y boire. Il avait la bouche tellement sèche. Prostré contre le mur près de la porte, les deux mains entourant le biberon, Kala buvait tel un nouveau né au sein maternel. Plus il but, plus la sensation de faim s'amplifia néanmoins, rappelant que son estomac était toujours là, et particulièrement vide.

Lâchant le biberon, le garçon se saisit de l'assiette et de la cuillère en plastique et avala sans presque mâcher la purée qu'on lui avait donné. Les instincts de survis avaient prédominé. Il n'avait plus de notion de plaisir à manger ici, mais uniquement la survie. Il avait positionné l'assiette à hauteur de lèvres et avait raclé le contenu vers sa bouche, remarquant à peine que c'était de la carotte. Etrangement, il se sentait totalement repu. Son corps s'était probablement habitué à ne pas avoir grand chose à manger depuis son retour des Amis.

L'assiette terminée, il reprit le biberon et téta comme si cette simple action le rassurait, toujours contre un mur rembourré, les jambes contre lui. Il observait le chat distraitement. Il n'existait pas, de toute façon...

Bizarrement, Kalalli avait la sensation de se sentir bien. C'était comme ces périodes à la suite d'une convalescence. On ne se sent pas bien, et puis tout d'un coup, ça va. Pas spécialement mal, pas spécialement handicapé. Peut-être un reste de peur d'agir et de se refaire mal... Sauf que la sensation était plus brutale. Après avoir pour ainsi dire touché le fond dans les minutes précédentes... Ou bien s'agissait-il d'heures ? De jours ? Depuis combien de temps était-il là ?

En tout cas, à bien y regarder, sa situation était... Bon... ok... Sa situation était désespérée.
On pouvait entendre des voix dans le couloir, faiblement.

"... Réagit bizarrement...Ça va le tuer...Terminer l'expérience...", c'était la voix de Cassandre. Même s'il était infiniment probable que la medium de l'ex-institut n'était pas là.

Rien que de très habituel diraient des esprits sarcastiques, mais ironiquement, cette habitude n'avait rien de rassurant.

Etait-ce la succion frénétique de la tétine qui le détendait ? Etrangement, Kalalli avait l'impression de sortir la tête de l'eau, de remonter la pente, alors que sa situation ne s'améliorait pas réellement. Il était juste conscient de ce qui l'entourait et il venait de manger sa purée. Et pourtant il se sentait bien. Un bien relatif, évidemment. Mais avec ce qu'il vivait depuis ce qui lui avait semblait être une éternité, il savait savourer la moindre minute de calme dans son esprit.

Pourtant un mal indescriptible semblait planer au dessus de lui. Il avait conscience que cet état n'allait pas durer. Que sans comprendre pourquoi, ni comment, il allait finir par sombrer à nouveau. Ces instants de répit furent mis à contribution pour essayer de comprendre.

Si cet endroit était la réalité, pourquoi était-il là ? Qu'est ce qu'il s'était passé réellement. Tentant de se souvenir la trame des derniers évènements, l'esprit encore un peu embrouillé, une voix se fit entendre venant de derrière la porte. Il croyait encore entendre Cassandre. Pourquoi faisait-il une fixette sur elle ? Elle ne pouvait pas être responsable de tout ça.

Tendant l'oreille, il récupéra quelques bribes de paroles peu engageantes. Réagir bizarrement ? Expérience ? Quelque chose allait le tuer ? Il avait l'impression d'être un rat de laboratoire. C'était peut être ça en réalité. Ou alors c'était une défense dressée par son esprit pour combattre le vrai qui tentait de s'immiscer pour le faire sortir de ce monde improbable ?

L'Inuit ne savait plus. Il se sentait perdu au travers d'univers imbriqués aussi improbables les uns que les autres. Devait-il combattre de toutes ses forces ou au contraire se laisser perdre pour ressurgir dans une couche supérieure de l'univers de son esprit, plus proche d'une réalité théorique ?

Les yeux grands ouverts, fixant un point imaginaire, Kalalli tétait le biberon comme catalyseur de sa pensée. Certains avaient une toupie pour savoir quel monde était le vrai, d'autres une pièce d'échec. Lui c'était sa tétine, étrangement.

Laissant ses pensées à la dérive, Kalalli put sentir quelques frémissements par-ci par là de souvenirs. Central Park, deux mutants, et on l'avait emmené ici. La suite était plus floue, et manquait de chronologie. Le calendrier est une belle invention humaine, savoir quel jour on est est à peu près important.

Quelque chose attira toutefois l'attention de l'inuit qui regardait dans le vague. Quelqu'un était présent avec lui dans la pièce. Probablement une quelconque hallucination qui allait se transformer en une nouvelle scène idyllique puis cauchemardesque. Peut-être l'espèce de businessman qui était là allait-il se faire démembrer, ou bien son complet beige allait prendre feu, ou bien finirait-il peut-être pendu par sa cravate ?

La scène gore tardait un petit peu venir, et l'homme affichait un visage vaguement perplexe. Il se décida donc à dire quelque chose.

"Bonjour Kalalli... Je m'appelle Markus Wiseman. Même si je ne suis pas vraiment ici, je ne suis pas non plus une nouvelle hallucination. J'appartiens à la Fondation Ganymède, à Manhattan."

C'était assez inattendu pour le coup... Mais pas forcément fâcheux pour autant.

"Je suis soulagé de voir que tu recouvres lentement tes esprits. Je pense que tu dois te poser pas mal de questions. Je vais essayer d'y répondre aussi bien que je le pourrai."

Perdu dans le vague, l'esprit de l'Inuit tentait de rattacher les wagons de ses souvenirs, pour certains en mauvais états, mais d'autres plus aptes à apporter des réponses. L'appel de L&M lui revint, suivit des deux hommes qui étaient venus l'emporter. Mais il n'était pas seul... Alex était aussi là. Et son père. Et il y avait d'autres gens... Lentement, les visages lui apparurent. Brieuc, Johanna... et Leah ? Peut être d'autres. Il ne savait plus réellement.

Lâchant un soupire durant lequel il ferma les yeux, il eut la surprise de remarquer de jolies chaussures sous un pantalon beige en les rouvrant. Loin d'avoir la force de sursauter, le garçon releva le visage pour voir à quelle hallucination il avait l'honneur de faire face, pour une fois qu'il en avait conscience.

Le bel homme qui ressemblait à un homme d'affaire lui était inconnu, du moins il le pensait. De toute façon, il ne fallait pas nécessairement chercher de sens à ces illusions. Il avait bien revu Cassandre sans raison apparente qui avait tenté de l'étouffer. Il laissa ses yeux retomber du visage de l'inconnu à ses pieds, espérant de toutes ses forces que l'hallucination disparaisse, signe qu'il reprenait le dessus sur ce délire naissant.

Pourtant, si le fantôme de son esprit se mit à lui parler comme la sybille, son discours fut bien différent. Car c'était un message d'espoir qui était délivré. Relevant la tête pour voir à nouveau le visage de l'homme, le garçon essaya de percer la moindre incohérence dans ce qu'il croyait être une dérive de son esprit. Le désespoir était tel que la moindre chose agréable à l'oreille ne pouvait que se transformer en une farce des plus désagréable.

Mais non. Il était de Ganymède, fondation qui avait toujours laissée Kala perplexe quant à leurs intentions depuis la disparition de William Becker, qui lui était particulièrement mal intentionné. Leurs routes s'étaient ensuite croisées, parfois en alliés, parfois en opposition. Mais chacun suivait sa voie, et s'il y avait bien une chose dans le fond qu'il savait, c'était que Ganymède n'était pas une association mauvaise. Du moins lui semblait-il.

C'était donc un véritable espoir qui put se lire dans les yeux de l'illusionniste. Si cet homme avait réussi à le trouver, peut être pourrait-il aussi le sortir de cet enfer ? A moins qu'il ne soit une invention de son esprit, pour l'empêcher de retourner à la réalité dont il se rapprochait sans le savoir... Mais s'il se battait inconsciemment pour ne pas refaire surface dans un vrai monde, il devait y avoir une raison. Les théories s'entrechoquant dans son esprit, Kalalli finit par en venir à la plus simple solution et à son plus grand désir : pouvoir faire confiance.

Markus lui proposait des réponses. Mais les questions étaient nombreuses. Où, quand, qui, quoi, comment. Mais la première qu'il posa était tout autre :

"Est ce que les autres vont bien ? " tanta-t-il d'abord d'articuler, peu habitué dernière à pousser autre chose que des cris.

"Johanna... Brieuc... Alex. Et Leah ? " rajouta-t-il en guise de précision.

Il déposa lentement son biberon au sol, loin de la honte théorique qu'on pouvait ressentir avec ce genre d'objet dans sa main. Puis d'autres questions vinrent, alors qu'il essayait de se rassoir sur les coussins du sol.

"Vous venez me libérer ? Qu'est ce qu'il m'arrive ? Pourquoi moi... ? J'ai fait tellement de cauchemars..."

Finalement, dans cette dernière série de question, la principale restait de savoir s'il allait pouvoir enfin retrouver une liberté relative. Loin de ces derniers jours de déchéance mentale et physique. Puis une dernière vint :

" On s'est pas déjà vu... Quelque part... ? " osa-t-il demander.

Son visage lui disait quelque chose.

Markus afficha un air soulagé en entendant Kalalli lui répondre. Avait-il déjà essayé de lui parler avant ? Kalalli n'en avait aucun souvenir. Peut-être avait-il été alors confondu avec une hallucination...

"Nous ne nous sommes jamais rencontrés... Mais j'ai déjà été interviewé par le journal, peut-être est-ce simplement cela.", répondit-il avant de le gratifier d'un sourire.

"Les autres ? Ils vont bien. Johanna et Brieuc n'ont aucun souvenir de votre enlèvement. Ceux de Leah ont été restaurés par un autre biais. L'Institut s'est fait beaucoup de soucis pour vous..."

Il ne prenait pas spécialement de pincettes pour asséner la vérité des choses. Peut-être n'avait-il tout simplement pas énormément de temps à sa disposition.

"Je ne suis pas ici. Donc je ne peux pas te libérer. Je suis simplement venu voir si tu allais bien, et te donner un peu de compagnie. Mais rassure toi, la cavalerie est en chemin. Ton enlèvement ici a été commandité afin que tu serves de sujet de test pour des drogues censés améliorer tes pouvoirs. Les choses ont probablement un peu déraillé, ce qui expliquerait les cauchemars. En la matière, je n'ai pas vraiment de réponses..."

Markus affirma qu'il ne s'étaient jamais vus. Kalalli n'en fut pas convaincu pour autant mais dans la situation immédiate, ce n'était pas très important. Le garçon sourit lorsque l'homme lui apprit que ses amis allaient bien.

" Tant mieux alors... "

Si lui était dans une situation fâcheuse, savoir que les autres ne souffraient d'aucun calvaire comme le sien lui remontait un peu le moral. Savoir aussi qu'il manquait à ses amis faisait toujours chaud au coeur. Kala prit la nouvelle de la non-présence de Markus et donc de sa non-libération immédiate comme elle venait. C'aurait été trop simple, bien sûr. L'apparition venait vérifier son état et lui tenir compagnie. Une présence était rassurante, même fantomatique. Il se croyait devenir fou à force de ne voir que des hallucinations. Et s'il en était une, celle-ci était plutôt agréable !

L'Inuit sourit en apprenant que la cavalerie arrivait. Mais rapidement, sa joie s'estompa quand il apprit la raison de son enlèvement. Il était un sujet d'expérience pour une drogue sensée améliorer ses pouvoirs.

" Pourtant je n'arrive plus à m'en servir du tout... " fit-il remarquer.

Une idée le frappa soudainement :

" Vous croyez que je suis redevenu humain ? " s'inquiéta-t-il.

Perdre son pouvoir était une des pires choses qui pouvaient lui arriver. Il se sentirait tellement inutile en comparaison de ses amis. Et tellement faible. Comme avant. Incapable de se protéger. Kalalli soupira. Avoir de mauvaises pensées ne l'aiderait pas. Observant l'homme d'affaire, une autre question vint :

" Pourquoi vous vous intéressez à moi ? Je veux dire... J'ai jamais fréquenté Ganymède... On ne se connait pas. Qu'est ce qui fait que je mérite votre sollicitude monsieur ? "

C'était tout juste s'il avait entendu parler de Ganymède depuis trois ans. Il ignorait même l'organisation de la fondation, et qu'il y avait une section à Manhattan. Voir un agent arriver était donc surprenant. Finalement, il tenta de se lever de façon peu assurée pour être à la même hauteur que son interlocuteur par politesse, puis le regard plein de gratitude :

" Merci beaucoup d'être là en tout cas... et pour me donner des nouvelles."

Même s'il se sentait mal physiquement et autant mentalement, savoir que quelqu'un était là et que ses amis arrivaient lui donnaient de la force, alors qu'il se laissait sombrer dans un néant psychologique depuis qu'il était assaillit de réalités et d'hallucinations toutes plus invraisemblables les unes que les autres.

Cachant physiquement le vertige qui le prenait, probablement par fierté mal placée, il finit par demander :

" Est-ce que vous savez qui sont ceux qui m'ont enlevé, et pour qui ? Peut être Arcade ? "

L'Inuit avait entendu parlé de drogues expérimentales que l'homme donnait à ses sujets de tests. A moins que ça ne soit l'école du Massachusetts ? Les simulations qu'ils utilisaient étaient accompagnées de piqures pour amplifier les effets de leurs pouvoirs dans le cadre de la réalité virtuelle.

Markus eut un sourire amusé face à la question en apparence naïve de Kalalli sur ses pouvoirs :

"Tu n'es probablement pas redevenu humain... La vérité est très simple, par rapport à tout ceci : je pense que les drogues t'ont vaguement anesthésié, et empêché d'utiliser tes capacités, et par ailleurs... Il n'y a personne aux alentours sur qui ton pouvoir pourrait s'exercer."

Forcément... pas de cible, pas de pouvoir... Markus eut l'air intrigué par la question du pourquoi. La question gimmick de toute cette saga.

"Pourquoi ? Et bien... D'une part, l'une de nos sympathisantes, Leah, a été impliquée dans tout ceci et s'est fait du soucis pour toi. D'autre part, trois membres de l'Institut ont débarqué le jour de ton enlèvement avec la ferme intention de tout détruire pour te retrouver, alors même que tu n'as jamais mis les pieds dans mes locaux. Je leur ai offert l'aide de la Fondation, et ils l'ont accepté. Cela n'a pas été de gaieté de cœur pour eux, persuadés qu'ils sont de la responsabilité de Ganymède dans ce qui t'est arrivé, et je t'avouerai que certains de tes amis sont toujours persuadés que je ne fais ça que pour me racheter de je ne sais pas trop quoi..."

Il eut un sourire charmant quand Kalalli le remercia. C'était sans doute quelque chose d'assez rare pour lui ? Ou bien cette effusion de sincérité soudaine lui était inhabituelle, lui qui avait plutôt l'habitude du contrôle.

"Je sais qui t'a enlevé. Néanmoins, ceux-là n'étaient que des exécutants. J'ignore encore pour qui ils travaillent. Peux-tu me parler de cet Arcade ? Qu'est-ce que c'est ?", interrogea-t-il.

Kalalli fut soulagé de la réponse de Markus selon laquelle il n'avait probablement pas perdu son pouvoir d'illusion. Dans la panique rapide, il n'avait pas songé que c'était peut être l'effet des drogues ou l'absence de personnes à cibler. Pourtant parfois, il sentait bel et bien des présences. La drogue arrivait après et pourtant, il ne parvenait pas à neutraliser ceux qui lui voulaient du mal. Il fallait dire que les phases de conscience étaient trop peu nombreuses face aux délires successifs dans lesquels il se perdait.

L'Inuit écouta aussi attentivement qu'il le pouvait le pourquoi de cette aide ganymédienne, malgré le vertige qui continuait à faire son oeuvre. Ainsi, Leah était une sympathisante de Ganymède. Ce n'était finalement pas si surprenant. Dans le fond, l'envergure de la fondation et ses objectifs pouvaient être une suite logique à sa participation à la vie de l'ancien Institut. Et puis sans savoir trop pourquoi, Ganymède, il se disait que ça collait bien à Leah.

" Je me souviens l'avoir vue juste avant m'être fait enlevé, oui... " confirma-t-il sans la moindre utilité.

L'image de Chason lui revint pour une raison qu'il ne comprit pas. Heureusement qu'elle avait été présente, si c'était elle qui avait fait le relais avec Ganymède permettant de le retrouver. Le pouvoir fantomatique de l'homme en costume devait être un atout. Si d'abord le garçon sourit en apprenant que des membres de l'Institut étaient prêts à tout détruire pour le retrouver, il perdit pourtant ce dernier, surpris d'apprendre que les autres étaient persuadé que c'était Ganymède les responsables.

" Pourquoi ils pensaient que vous étiez mêlés ? On n'a jamais eu affaire à Ganymède pourtant... " demanda-t-il avec une moue dubitative.

Est-ce que les autres connaissaient des choses que lui ignorait ? Ils avaient probablement enquêté.

" S'ils pensent que c'est de votre faute, c'est bizarre de venir me sauver... " avoua-t-il.

A moins que tout ça ne soit une manipulation la plus totale pour s'attirer ses faveurs. Cette idée fut chassée rapidement. S'il commençait à devenir parano, il ne pourrait plus jamais accorder la moindre confiance à qui que ce soit. A ce rythme de pensées là, il finirait cloîtré dans une cabane en bois au fond de la forêt, avec un fusil. L'important c'était l'immédiat. Et Markus lui offrait une aide qu'il ne pouvait pas se payer le luxe au nom de la moindre méfiance de refuser. Après tout, s'il avait fait l'effort de venir jusqu'à lui, il ne pouvait pas être mauvais. S'il était responsable de quoique ce soit dans tout ça, il aurait aussi bien pu le laisser mourir ou sombrer dans une folie définitive.

Et puis au final, accepter de l'aide ne faisait pas de l'Inuit l'esclave de Ganymède. Ces derniers ne pourraient pas le retourner contre ses amis pour une obscure raison. Donc il n'avait surement rien à craindre une seule seconde de la main tendue par la fondation. Ce qui était sûr, c'est qu'il leur serait redevable, naturellement.

Lorsque Markus annonça que les mutants qui l'avait enlevé étaient de simples exécutants, il ne songea pas à demander leur identité.

" Ils étaient vraiment puissants. Enfin, il y avait un mentaliste. Il a plié Alex vraiment facilement... "

D'ailleurs, l'homme avait dit que tout le monde allait bien. Mais il n'avait pas détaillé la situation du télépathe.

" Est-ce que les responsables lui ont fait la même chose qu'à moi ? A Alex, je veux dire... ? " inquiet malgré le dégoût que lui inspirait son ancien ami.

Markus s'interrogeait sur l'identité de cet Arcade, et le garçon se retrouva bien ennuyé pour en dire plus. Il ne savait pas tant de choses sur lui, maintenant qu'il y pensait.

" Je sais juste qu'il essaye des drogues justement sur des gens... Je ne sais pas s'ils sont mutants ou pas particulièrement. Il nous a jeté devant l'Institut un garçon, Stanford, avec un message gravé à même le torse à la lame, parce qu'on s'intéressait de trop près à ses agissements. Il a l'air de faire beaucoup de mal aussi... "

Mais pas autant que les Amis. La vue de Kalalli se troubla soudainement alors qu'une puissante vague de nausées le prenait. Retombant sur les fesses lourdement, il plaça instinctivement le dos d'une main devant sa bouche, comme si celle-ci avait pu retenir quoique ce soit. Il avait à la fois particulièrement chaud comme en témoignaient des gouttes de sueurs qui perlaient, mais aussi vraiment froid. La vision revint rapidement lorsqu'il n'eut plus à faire d'efforts pour rester debout. Comme si ça n'était pas évident, il précisa :

" Je me sens vraiment pas bien... "

Peut être la purée de carotte ? Ou le mélange des drogues avec la nourriture qui ne se faisait pas. Ce qu'il pouvait en avoir marre d'être si mal. Des larmes remplirent ses yeux sans pourtant qu'elles glissent le long de ses joues. Le garçon sentit soudainement une vague de mal être le parcourir en se diffusant de la tête vers le reste du corps, renforcée par une fatigue lancinante dans sa poitrine. Il sentait que s'il fermait les yeux, il partirait surement de nouveau dans un délire ou dans une inconscience qui le mènerait à il ne savait quoi.

Déglutissant, il retira sa main de sa bouche et leva la tête vers l'homme, l'esprit légèrement embrumé :

" Vous êtes une sorte de... Zut... Comme quand on dort et qu'on sort de son corps... "

Il ne savait plus. Tant pis. Il avait demandé juste pour essayer de rester conscient, pour avoir une attache avec cette réalité qui était celle à laquelle il croyait. Et celle la moins douloureuse. Pour le moment.

"Une projection astrale...", compléta Markus avant de préciser. "En réalité, pas exactement... Mais je t'avouerai que toutes ces subtilités, même si elles sont fascinantes, me dépassent un peu."

Mais il était temps de revenir au sujet de conversation principal.

"N'est-ce pas là fascinant ? Ainsi, il me faudrait conditionner mes choix d'action à ce que pense l'Institut Xavier. C'est assez totalitaire, n'est-ce pas ? Et pourtant, certains arrivent à frapper du sceau de la vérité un plan impliquant de vous kidnapper et vous torturer pour mieux vous délivrer ensuite."

Kalalli ne savait pas vraiment ce qui s'était passé entre l'Institut et la Fondation, mais manifestement Markus avait une opinion de l'Institut qui, sans être spécialement agressive ou dégradante, n'était guère reluisante.

"Il s'avère que vos ravisseurs ont été, par le passé, reliés à Ganymède. Voilà la source de tout ceci...", admit-il néanmoins, par pure honnêteté.

"Alexander est dans ce complexe, dans une autre pièce. Il a eu à peu près le même traitement...", se contenta-t-il de préciser en conclusion.

Il ne souffla néanmoins mot des informations obtenues sur Arcade.

Une projection astrale. Voilà. Mais d'après ce qu'il disait, son pouvoir était tout de même un peu différent. Derek avait ce pouvoir là.

Une migraine lancinante s'immisçait en lui lentement alors que Markus semblait condamner l'Institut pour ses agissements.

" Certains ont besoin d'un coupable rapidement vers qui tourner leur haine, j'imagine... " admit-il tristement.

Puis l'homme lui apprit la raison de cette méfiance qui semblait jusqu'ici particulièrement injuste envers Ganymède. Mais le fait que soit clairement précisé "pas le passé", laissait tout de même entendre qu'ils n'étaient plus liés, ces ravisseurs. Kalalli aurait bien essayé d'excuser les siens en mettant en avant qu'ils devaient avoir peur et avaient agi avec précipitation mais ce n'était pas réellement le meilleur moment. Il se sentait trop faible et l'esprit trop atteint pour tenir une suite de propos cohérents.

La migraine continuait de s'amplifier alors qu'il commençait en plus à avoir particulièrement froid. Enroulant ses bras autour de lui, il écouta la réponse au sujet d'Alex. Visiblement, il avait subi les mêmes horreurs que lui. Mais si les autres arrivaient, comme Markus le prétendait, tout ceci toucherait à sa fin.

" Il fait vraiment froid, non ? " demanda-t-il en baissant la tête et en resserrant plus fort ses bras.

Les sensations qui se diffusaient dans ses membres étaient étranges. Du chaud, du froid, des picotements, des vagues de crispations, et parfois même des douleurs. Il avait l'impression de transpirer. L'arrière de la tête était tendue, amplifiant la migraine. Lentement, il ferma les yeux et reposa sa tête contre le mur matelassé, légèrement inclinée, comme sur un oreiller de fortune.

Une fatigue fracassante venait de le percuter. Probablement un contre-coup des drogues ingérées malgré lui. Son esprit s'embrouillait. Il avait l'impression d'être à la fois mal et de planer.

Markus eut un sourire navré et secoua la tête, tout en répondant à Kalalli.

"Je l'ignore... Je ne suis pas vraiment ici, donc chaud ou froid, je n'en ai pas la moindre idée." Il laissa un blanc, puis conclut. "L'Institut Xavier est en route. Repose toi, je pense que la sortie risque d'être mouvementée. Bon retour dans le monde réel."

Puis il se volatilisa. Une sorte de brume envahissait la pièce, peut être était-ce simplement un effet esthétique de son pouvoir, ou bien une autre hallucination. En tout cas, la brume prenait une autre forme, plus familière. Mina. Encore un piège ? Ou bien, enfin, la cavalerie ?

Evasion