[Courtier Johanna Kellermann] Afrique du Sud / One day... (suite)

AX version 1.0

Johanna avait beau mobiliser ses souvenirs, les émissions citées ne lui disaient absolument rien... et ce n'était pas la tronche que tirait Gary qui allait l'aider à se concentrer ! Le pauvre garçon semblait au bord de la crise de larmes...

"Bon... Si je résume, c'est la cata..." lâcha la présentatrice sur le cadran de la montre du malheureux gagnant de la Nouvelle Nouille.

"Vous avez eu - Dieu sait comment - le billet de Sadie et vous vous retrouvez à sa place... Du coup, on a plus d'émission et je me fais virer si vous n'acceptez pas de nous aider..."

Sa voix devenait de plus en plus désespérée. Finalement, elle prit une grande inspiration et conclut :

"Nous essaierons de respecter autant que possible votre intimité. Après tout, nos caméras sont plus que visibles. Il y a bien sur celle de la montre de Gary mais nous utilisons plus habituellement des modèles volants. Quant à l'émission..."

Elle avait l'air de souffrir. Réellement.

"Je serai votre interlocutrice. A part quand je suis en direct, vous pouvez me parler via le bracelet que vous trouverez derrière la boite de préservatif. Vous devrez le garder en permanence sur vous. Au poignet, à la cheville ou ailleurs, je m'en fiche, mais promettez de le garder toujours sur vous ! Au fait, mon nom est Susheela Khan..."

Susheela parlait d'une voix stridente et rapide. Effet du stress ou personnalité foncièrement énervante ? C'était dur à dire... Mais quoi qu'il en fut, elle finit par ralentir quelque peu son débit vocal :

"Demain, il y aura le premier prime. Nous ferons un montage des moments les plus passionnants de votre journée. Bref... Tâchez de faire des trucs qui vaillent le coup ! Sinon, on sera obligé d'y mettre notre grain de sel... Par ailleurs..."

Elle avala sa salive :

"Si vous foirez le coup, vous ne gagnerez pas les 10.000 dollars de l'émission. Et nous nous ferons une joie perverse à dire au personnel navigant que vous avez un billet volé... C'est compris ?"

Soudain, Susheela se tripota l'oreillette. On était en train de l'informer de quelque chose. Elle reprit à l'attention de Johanna :

"Direct dans 5... 4... 3... 2... 1... maintenant !"

Puis, elle afficha à nouveau son sourire factice :

"Bonsoir Mademoiselle ! Pourriez-vous vous présenter brièvement à nos téléspectateurs vu que vous n'êtes pas Sadie ? N'oubliez aucun détail, ils ont terriblement envie de connaître la personne merveilleuse que vous êtes... Et puis, maintenant que vous avez eu un peu le temps de papoter, vous le trouvez comment Gary ? Craquant ou carrément à tomber ?"

Ca ne lui disait rien. Ca ne lui disait absolument rien et elle n'aimait pas ça, être au milieu d'un truc qu'elle ne comprenait pas. Avec une pleureuse pour compagne, en plus, great. En tout cas, elle ne pouvait qu'être d'accord avec la présentatrice : c'était une catastrophe. Rien ne se passait comme elle l'avait souhaité. Elle grimaça, pas très encline à aider la femme qui parlait à travers la montre. Parce que son émission, c'était bien joli, mais elle, elle n'en avait rien à faire, et ça contrecarrait vachement ses plans. Et que la fille se fasse virer... bon non, ça ne lui faisait pas plaisir, mais si elle pouvait juste éviter de se retrouver sans cesse filmée...

Respecter autant que possible son intimité... Mouais, c'était joliment dit, mais elle n'aimait vraiment pas ça quand même. Rien que l'idée de se balader avec cette montre-bracelet reliée à la présentatrice H24, c'était déjà désespérant. Jo se leva à contrecœur pour aller chercher ledit bracelet et en grimaçant, l'enfila à son poignet gauche.

- Enchantée Madame Khan, maugréa-t-elle par convenance plus que par réel plaisir de rencontrer celle qui ne la lâcherait plus d'une semelle. Et dont la voix stridente lui écorchait atrocement les oreilles.

Un montage des moments les plus passionnants de sa journée à venir ? Elle imaginait mal ce qu'elle allait faire de passionnant. Et quand Susheela lui intima de faire des "trucs qui vaillent le coup", Jo grimaça de nouveau.

*Elle est marrante elle, je voudrais bien l'y voir. Ils croient quoi, que ça va être le méga coup de foudre avec la Nouvelle Nouille, qu'on va se découvrir un tas de points communs et plus se quitter ? Non mais ils m'ont bien regardée ?*

Elle remit machinalement une mèche de cheveux roux un peu trop courte derrière son oreille, qui retomba presque aussitôt devant ses yeux. Qu'ils ne mettent pas leur grain de sel, pourvu qu'ils ne mettent pas leur grain de sel ! Dieu seul savait de quoi ils étaient capables dans cette émission à la noix. Elle tiqua cependant sur les propos suivants de la présentatrice et ouvrit des yeux ronds.

- Dix mille dollars ?!

Nouvelle grimace. Parce qu'en plus elle croyait qu'elle l'avait volé ce billet à cette Sadie machin chouette qui leur avait fait faux bond ? Frak ! C'était le comble !

- Hey ! Je l'ai pas volé ce billet, j'ai rien demandé à personne moi ! J'ai payé ma place comme tout le monde !

Elle passa les mains sur son visage, décomposée. Qui croirait-on si elle mettait sa menace à exécution ? Une présentatrice sans doute un minimum connue ou une gamine de dix-sept ans ? Elle dut se rendre à l'évidence, elle n'avait pas le choix. Ce fut son tour à elle d'avaler sa salive, prise au piège.

- Ok, ok, j'ai compris, c'est bon. Je vais le faire votre truc, puisque j'ai pas le choix.

Pas le temps d'en rajouter plus : la fille dans la montre tripota son oreillette et bam, direct. Sourire factice et discours choc. Sûre que Mary adorerait ça. Jo se tortilla les mains, un rien nerveuse.

- Euh... Bonsoir. Donc non, en effet, je ne suis pas Sadie. Je m'appelle Jo, enfin Johanna. J'ai pas trop l'habitude de me retrouver devant des caméras...

Trouver quelque chose d'intéressant à dire. Et ne pas penser continuellement à "je suis une mutante, ah, ah, elle est bonne celle-là, non ?". Allez, Jo, du calme, c'est comme les jours de rentrée au lycée où il faut se présenter devant tout le monde, imagine une salle de classe. Là. Qu'est-ce que tu dirais au lycée ?

- J'ai dix-sept ans, je parle trois langues et j'aime la musique et la course à pieds. Qu'est-ce que vous voulez savoir d'autre ?

Bah celle-là, elle ne l'avait pas vue arriver. Craquant ou à tomber ? Euh... Ni l'un ni l'autre. Non mais sérieusement, comment elle pouvait poser une question aussi nulle cette femme ?

*A ton avis franchement ? Ok je suis pas un canon, mais quand même... qu'est-ce qu'il est moche...*

Pensée peu charitable, certes, mais c'était plus fort qu'elle là.

- Ben euh... C'est difficile de cerner quelqu'un en moins de cinq minutes... Je sais pas trop quoi penser de Gary. On a le temps de faire connaissance de toute façon, n'est-ce pas ? Et puis j'aimerais faire un peu le tour des installations, surtout l'auditorium et les complexes sportifs...

Rien à voir, c'était sorti tout seul. Tais-toi Jo, tu vas finir par dire des trucs que tu vas regretter.

Susheela encaissa les réponses de Jo sans se départir de son éternel sourire. Ça devait lui donner des crampes au visage à force... Mais en bonne professionnelle, la jeune présentatrice enchaîna :

"Trois langues ? Et pratiquez-vous celle de Garry ?"

Elle rit de sa propre blague pourrie avant de reprendre :

"Si vous aimez la musique, vous êtes vernies, Jo, parce que sur ce bateau il y a le grand pianiste Olaf von Rostropopovich ! L'homme aux doigts magiques et boudinés, capable d'enchanter un public en délire avec tous les plus grands tubes de Beethoven ou de Bach ! Bref, vous allez en avoir pour votre argent !"

Susheela marqua une pause avant d'annoncer le programme du prochain prime :

"Chers téléspectateurs, vous saurez tout sur le passé tragique de Jo, vous verrez comment Gary a réussi à la séduire à l'occasion d'un diner aux chandelles... Vous saurez également comment, Jo, en s'emparant de Monsieur Tombeur aura réussi à faire pleurer von Rostropovich... Tout cela vous le verrez demain !"

Elle se figea en un dernier sourire horripilant. L'émission était terminée. Susheela, une fois hors antenne, fit un petit signe à Jo et Gary :

"Je vous ai annoncé le programme que vous avez à réaliser d'ici demain 18h00... Je compte sur vous ! Bonne nuit les amoureux !"

Et son image disparut, laissant Jo, seule avec Gary.

Le sourire de cette Susheela était tout bonnement horripilant. Dans le genre plus factice, tu meurs. Et Jo était tellement fascinée et dégoûtée à la fois par ce sourire ultrabrite qu'elle ne comprit pas tout de suite ce qu'impliquait la présentatrice.

- La langue d... hum...

Alors qu'elle allait répondre qu'elle parlait l'anglais de Gary, elle comprit enfin où elle voulait en venir. Encore et toujours à la même chose d'ailleurs. Et non, elle n'avait aucune envie de pratiquer la langue de Gary. Rien que l'idée l'écoeura et elle réprima une grimace peu photogénique et encore moins sympathique pour le pauvre type assis à côté d'elle.

L'autre riait, et Johanna avait vraiment envie de lui coller des baffes à celle-là. Le discours de la présentatrice bifurqua sur la musique, à son grand soulagement. Que von Rostropopovich eût les doigts boudinés, elle s'en fichait. Qu'il fût capable de l'enchanter avec lesdits doigts, ça la laissait bien moins indifférente et un sourire naquit sur ses lèvres. Bon, au moins, elle ne perdrait pas complètement son temps pendant ces dix jours. Ca n'était pas la voix de Karoly, mais le piano lui allait tout aussi bien. Et même si elle ne connaissait ni ce Rostro-machin-truc, ni les oeuvres de Bach et Beethoven par coeur bien que leurs noms lui dissent quelque chose, elle attendait au moins ce moment-là avec un peu plus d'impatience et d'excitation que le reste de son voyage.

Une nouvelle fois, elle faillit reprendre la parole. Mais Susheela enchaîna et le sourire de Jo s'évanouit aussitôt. Son passé tragique, ah, ah, elle était bien bonne celle-là. Improvise ma fille, y a plus que ça à faire. Oui mais elle avait beau être la seule rouquine de la famille, ça n'empêchait pas que sa petite vie n'avait jamais rien eu de tragique. Elle grimaça au sujet du dîner aux chandelles. Il allait donc vraiment falloir qu'elle se les coltine pendant dix jours, la pleureuse et la mythomane ? Quant à Monsieur Tombeur - son regard coula vers la marionnette - non mais non pas ce truc-là quoi...

Nouveau sourire de la femme avant la fin de la transmission - son changement d'expression faciale en témoignait. D'ici demain 18h00, il fallait donc qu'elle s'invente tout un passé digne des soap que Maman pouvait regarder et une amourette dégoulinante avec Gary. Ainsi qu'une rencontre pitoyable avec un musicien qui lui était inconnu. Gé-nial. Et une fois encore, elle resta la bouche coite, n'ayant pas le temps de répondre que l'image de la présentatrice disparut.

- Frak !

Ahem. Grande remarque pleine d'esprit. Elle commença à faire les cent pas dans la cabine, marchant de long en large un peu trop vite, sans doute. Son regard passa de la montre de Gary à la sienne avant de faire le tour de la pièce des yeux, pour s'assurer - comme si c'était bien nécessaire après les derniers propos de la présentatrice - qu'il n'y avait pas de caméra en train de les épier.

- Comment je vais pouvoir m'inventer toute une vie d'ici demain moi ?! Et puis cette histoire de séduction... C'est pas contre toi Gary, mais j'ai que dix-sept ans, moi... Et... et... et... et je sais même pas qui c'est ce Ros... Rot... Machin-chouette russkof !

Quand elle l'avait pris à parti, elle s'était tournée un instant vers la Nouvelle Nouille, puis avait repris son va-et-vient dans la pièce. Elle avait fini sa tirade un ton trop fort sans doute. Elle s'arrêta net, revint s'asseoir et enfouit sa tête dans ses mains.

- Dans quel guêpier je me suis fourrée... Je voulais juste aller aux Etats-Unis moi, rien de plus...

A la grande satisfaction de Johanna, il n'y avait aucune caméra de visible pour l'heure... La production serait-elle un peu humaine ?

Quoi qu'il en fut, Gary parut mal à l'aise devant l'angoisse de Johanna. Il étendit les bras vers elle dans le but évident de l'enlacer mais se ravisa. Finalement, il lâcha :

"Tu sais, on n'est pas obligés de se marier après l'émission. Je sais comment les gens de la Production fonctionnent... Ils veulent du spectacle mais dès que c'est hors antenne ça les concerne plus. Une fois arrivés aux États-Unis, chacun reprendra sa petite vie. Toi la tienne et moi mon néant..."

Il marqua une pause. Allait-il pleurer ? Allait-il flancher une fois de plus ?

En lieu et place, il ajouta d'une voix neutre :

"Rostropopovich, c'est un pianiste célèbre depuis qu'il a gagné la Nouvelle Soupe. Je crois avoir vu dans le programme qu'il se produisait tous les soirs à l'auditorium. Sinon, je crois que le personnel naviguant m'a indiqué qu'il trainerait assez souvent au bar..."

Gary attrapa dans ses mains Monsieur Tombeur et le tendit à Johanna.

"Vu que Monsieur Tombeur semble faire partie de la mission que Susheela t'as donnée, je te le confie. Fais attention c'est mon meill... mon seul ami"

Il soupira et alla s'asseoir sur le lit.

"Si tu veux que je dorme par terre, c'est ce que je ferai..."

Aucune autre caméra dans la chambre, ça, c'était un premier soulagement. Mais ça ne suffisait pas à la rasséréner complètement, loin de là.

Elle entendit plus qu'elle ne vit le geste esquissé par Gary. Un bruit d'étoffe, le mouvement du matelas. Elle ne tourna pas la tête vers lui, même s'il essayait sans doute de se montrer sympathique. Elle ne doutait pas qu'il le fût, mais ses propos ne la rassuraient pas.

Se marier... Elle était bien trop jeune pour ça ! Elle n'avait même pas eu de vraie relation amoureuse, en tout cas rien de sérieux. Il y avait bien eu quelques bisous, mais ça n'avait jamais été plus loin, ni duré plus que quelques semaines, tout au plus. Alors le mariage... Il espérait vraiment trouver sa dulcinée lors d'un show de ce genre ? Horrifiée, elle coula vers lui des yeux ronds comme des balles de ping pong. Ca y est, il remettait ça avec son "néant".

- Dis Gary... Tu pensais vraiment trouver la femme de ta vie dans ce genre d'émission ?

Ah ouais, tiens, "tu", elle disait "tu" depuis tout à l'heure. Bah... Vu qu'ils se retrouvaient obligés de passer dix jours ensemble, c'était peut-être aussi bien mais... Mais dix jours à l'entendre geindre, ça n'allait pas être possible.

- Y a un truc que je pige pas. Pourquoi tu pleures tout le temps sur ton sort ? Je sais pas, bouge. Je sais que c'est pas toujours facile, mais... Tu fais quoi dans la vie ? Y a bien des trucs qui te passionnent, non ? Tu sais, les filles aiment pas vraiment les mecs qui s'apitoient de trop. Enfin y a ptêt des exceptions, mais la plupart, c'est pas le cas. Faut prendre un peu confiance en soi. Regarde-moi, je suis pas un canon et je suis dans un merdier pas possible, et... non le reste c'est pas grave.

Faux : le reste, c'était qu'elle était une sale mutante mineure qui essayait de pas se faire remarquer avant de rejoindre l'institut, mais ça, elle n'était pas prête de le révéler.

- Mais bref. On a tous des moments difficiles, des passages à vide. Je vais pas passer toute la traversée dans cette cabine à pleurnicher. Faut aller de l'avant. Ils veulent du spectacle, tu dis, on va leur en donner. Rostro... truc, c'est encore une nouvelle je sais pas quoi. Bon. A l'auditorium ou au bar. Très bien...

Elle prit délicatement Monsieur Tombeur dans ses mains et hocha la tête.

- J'en prendrai soin. Et je te le ramène dès que c'est fini. Faut que je réussisse à faire pleurer le russkof. A mon avis, il va pleurer de rire en me voyant aussi ridicule, parce que je sais absolument pas faire quoi que ce soit avec cette marionnette, mais... Bah faut que j'essaie. Tu comprends le truc ? Essayer. Ca marchera pas à tous les coups, mais si on abandonne pas, ça finit toujours par aboutir à quelque chose.

Bon là, à vrai dire, elle ne savait pas du tout à quoi tout cela allait donner lieu. Mais puisqu'elle n'avait pas le choix, autant faire avec. Quant à dormir par terre...

- C'est gentil, mais j'ai l'habitude de camper, on partait parfois en vadrouille avec mon frère. Et puis je déteste le rose, je préfère te laisser le lit de Barbie si ça te dérange pas...

Elle se leva, hochant de nouveau la tête.

- Je vais chercher le russe et je reviens ici après. Il ressemble à quoi à part qu'il a les doigts boudinés ?

Gary opina tristement du chef.

"Ben oui, je me suis dit que l'appât du fric facile et de la célébrité allaient m'aider à trouver une femme..."

Il marqua une pause. Il avait l'air très surpris. Jouant compulsivement avec ses mains, il commenta :

"Je... Je ne bégaye plus !"

Gary sourit à Jo :

"Tu es une mutante dont le pouvoir est de mettre les gens en confiance, c'est ça ? D'habitude les filles, elles me font bégayer !"

Il se leva, tout fier de lui.

"Mais tu dois avoir raison, faut que je me remue. Je te confie Monsieur Tombeur"


Satisfait de lui-même, Gary décida de lâcher un peu la grappe à Jo. Il lui donna "quartier libre" avec consigne, néanmoins, de lui ramener sa marionnette miteuse avant minuit.

Rostropopovich avait été décrit comme immanquable.

"Forcément, tu vas le remarquer. Pas de doute là dessus"

Et Johanna avait pu faire un peu le tour des lieux. Bien sur, dès qu'elle avait quitté la cabine, elle avait été prise en filature par un drôle d'appareil volant...


... ce dernier la suivait partout en silence... Une caméra certainement.

Finalement, Johanna débarqua au bar du bâteau, l'auditorium s'étant révélée désespérément vide.


Là, elle vit au comptoir le personnel naviguant qui avait pris son ticket. Il était affairé à nettoyer des verres.


Dans un coin, un vieux noir était en train de siroter distraitement un quelconque cocktail. Apercevant lJo, il lui fit un sourire pervers. Mais à la vue de la caméra, il sembla se tasser sur sa chaise.

Quant au coin piano / synthétiseur...


... il était trusté par un type immonde, aux cheveux décolorés et à la bedaine prononcée, vêtu d'une espèce de body argenté... Il jouait une drôle de mélodie tout en chantant. Une bande pré-enregistrée s'occupait des cœurs et du reste des instruments.

Jo secoua la tête quand Gary expliqua son idée de comment procéder pour trouver une femme. Et l'amour dans tout ça ? Ok, elle avait passé l'âge de rêver au prince charmant, et même si le physique comptait un peu – voire beaucoup – pour elle, elle gardait en tête que tout le monde avait droit à sa part de bonheur, même ceux qui ne rentraient pas dans les canons de beauté. Et un mariage pour le fric, ça lui semblait particulièrement voué à l'échec.

Elle n'eut pas le temps de mettre en ordre ses pensées pour en faire part à la Nouvelle Nouille : celui-ci s'extasiait devant sa nouvelle capacité à parler à une fille sans bégayer. Sauf qu'il mit ça sur le compte de son pouvoir mutant et elle secoua la tête, peut-être avec un peu trop de virulence.

- Ah non ! J'ai pas ce pouvoir...

Elle s'arrêta net.

*Pas ce pouvoir-là toujours*, finit-elle pour elle-même.

Du reste, elle nota que contrairement à ce qu'elle avait imaginé, il ne s'enfuyait pas en courant même s'il pensait qu'elle était mutante. Un bon point pour lui. Cela étant, la nouvelle fierté de Gary accrocha un sourire sur ses lèvres. Bien, il allait se bouger, c'était une bonne chose. Pour le reste... et bien elle n'avait plus qu'à faire équipe avec Monsieur Tombeur.

Elle sortit donc après que son colocataire forcé lui eut donné quartier libre jusqu'à minuit, et repéra bientôt la caméra qui lui filait le train. Ouais... ça, elle allait devoir s'y habituer... Ca ne l'enchantait pas du tout, mais elle n'avait pas vraiment le choix.

Rostropopovich était immanquable, donc, selon les dires de Gary. Pourtant, elle l'avait bien manqué à l'auditorium, où elle était parvenue pour ne trouver l'endroit que désespérément désert. Alors elle s'était dirigée vers le bar.

Faisant rapidement le tour de la pièce des yeux, elle aperçut le type au sourire aussi factice que celui de Susheela qui avait validé son billet, en train de nettoyer des verres. Au fond là-bas, il y avait un homme à la peau noire qui lui jeta un regard lubrique qui la fit frissonner. Ok, ne pas s'approcher de ce coin-là, même si la caméra n'avait pas l'air de lui plaire.

Et puis il y avait le piano. Et ce... type ? truc ? Cette chose blond et argent. Elle grimaça, écoutant un moment la mélodie étrange qu'il jouait. C'était lui Rostro-machin ? Il allait falloir qu'elle s'approche de ça ? C'était assez mauvais - à son goût du moins - ce qu'il jouait, en plus. Elle tourna la tête vers Monsieur Tombeur, se surprenant à avoir envie de lui parler comme l'eût sans doute fait Gary à sa marionnette... La solitude ne lui réussissait pas. Son regard coula vers la caméra et elle soupira profondément.

*Allez ma fille, le ridicule ne tue pas... Monsieur Tombeur, c'est à nous de jouer maintenant...*

D'un pas qui se voulait décidé, elle s'approcha du coin piano et toussota pour faire montre de sa présence. D'une voix qui se voulait masculine, elle se décida à commencer par faire parler Monsieur Tombeur.

- Salut, elle c'est Jo, elle m'accompagne, et elle m'a chargé de vous dire qu'elle serait très flattée si vous pouviez jouer un morceau juste pour elle...

En réalité, elle aurait préféré prendre sa place au piano, en fait, mais elle craignait de vexer la sensibilité de la Nouvelle Soupe... Après tout, c'était lui la star, pas elle.

Rostropopovich s'arrêta de jouer quand il entendit le piètre numéro de ventriloquie de Johanna. Il partit dans un rire éclatant et lança :

"Oh, comme c'est mignon ! Comme tu es mignonne ! Tu t'appelles Monsieur Tombeur, ma puce ? Oh, c'est mignon... C'est trop mignon..."

Le type ne semblait plus avoir toute sa tête. En fait, il avait surtout une haleine très chargée, typique des ivrognes qui ignoraient toute notion de soins dentaires.

Néanmoins, le Gros Rostropopovich se lança dans l'exécution d'un morceau même pas digne d'être joué dans un ascenseur.

Pendant que Johanna, sous l'oeil électronique de la caméra volante, fournissait des images grotesques pour le prime à venir, elle remarqua que le noir sembla se tasser encore plus quand un autre homme entra dans la pièce.


Il commanda un whisky au bar puis alla se poser non loin de Johanna, sur une chaise. Cette dernière put remarquer qu'il avait une oreillette et que le côté gauche de sa veste faisait une large bosse. Par ailleurs, il dévisageait un peu tout le monde dans le bar.

Finalement, le noir se leva et sortit un peu trop rapidement... Détesterait-il la musique de Rostropopovich ?

Ok, elle était complètement ridicule. Et le pire c'était qu'elle le savait. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire, franchement. Non, le pire, en fait, c'était qu'au lieu de faire pleurer le russkof, elle le faisait rire. Et pas aux larmes, non, si seulement elle l'avait fait rire aux larmes... Elle arqua cependant un sourire quand il lui répondit. Pas quant au fait qu'il trouve ça mignon, bien que ce fût quelque peu perturbant quand même, mais à la façon dont il l'appela. Monsieur Tombeur... Elle ne l'avait pas dit, elle en était certaine. Comment pouvait-il donc savoir que c'était le nom de la marionnette et confondre ainsi leurs deux identités ? Enfin pour le reste, elle pouvait manifestement mettre ça sur le compte de l'alcool, mais...

*Monsieur Tombeur, on a un problème, là je crois...*

Et pas seulement parce qu'elle ne remplissait pas son contrat avec la production. Un type était entré, avait commandé un whisky et était venu s'installer près d'elle. Elle remarqua son oreillette et l'étrange bosse qui bombait sa veste lui fit froid dans le dos. Le black au regard pervers s'était enfui, littéralement, et elle l'avait suivi du regard.

*Je ferais bien pareil, là...*

Mais elle ne pouvait pas partir comme ça. Alors elle endura l'air particulièrement insipide de Rostropopovich, tentant un maigre sourire embarrassé. Il y avait de quoi détester sa musique, si on pouvait vraiment appeler ça comme ça. Quoi que non, on ne pouvait même pas appeler ça de la musique. Même Nouvelle Soupe, c'était trop gentil. Elle patienta un peu, trouvant le temps particulièrement long. Trop long.

*Non mais vas-y laisse-moi le clavier ! C'est pas possible de jouer aussi mal sur du bon matos quoi !*

Beaucoup trop long. Elle déposa délicatement Monsieur Tombeur sur la table la plus proche et s'approcha du clavier, se décidant à interférer dans le morceau du russe. Et sans vraiment lui demander son accord, mais en lui adressant un sourire d'excuse, elle commença à jouer à côté de lui, tentant de son mieux d'améliorer la mélodie. Et d'une oreille - autant qu'elle le put - elle restait attentive à ce qui se passait du côté de l'homme à l'oreillette.

Quand les doigts de Johanna commencèrent à égrener le clavier, Rostropopovich parut courroucé. Il jeta un regard noir à la jeune femme et leva brusquement sa graisse.

"Je n'ai jamais été aussi humilié de ma vie ! Qui es tu, vague femelle, pour oser t'approcher d'un saint clavier ? Je suis... Je suis folle de rage !"

Il poussa un long soupir avant d'attraper Monsieur Tombeur.

"Je prends cela en souvenir de l'affront qui m'a été infligé ! Adieu !"

Et la grosse diva en body argenté quitta la pièce d'un pas hâté, la marionnette bien serrée entre ses gros bras.

L'homme à l'oreillette se leva également. Johanna n'avait rien remarqué dans son comportement. Il s'approcha de la jeune mutante.

"J'aimerai savoir pourquoi vous avez donné cette peluche à cet homme..." chuchota-t-il à l'oreille de Johanna. "J'aimerai également vous préciser que j'ai un pistolet dans ma veste et qu'au premier geste brusque de votre part, je me verrai contraint de l'utiliser..."

Ca n'eut pas du tout l'effet escompté. Mais alors absolument pas. Dans le genre plan foireux et foiré, elle avait difficilement fait pire. Elle avait beau chercher, non, elle n'avait jamais fait pire en fait. Même lorsqu'ils allaient faire les quatre cents coups avec Karl et revenaient avec des blessures de guerre dont ils avaient le culot d'être fiers, ça n'était pas pire que ça. Le russe l'avait mal pris. Jo resta estomaquée par la virulence et la vivacité du gros Rostropopovich.

*T'es folle tout court, dans tous les sens du terme* songea-t-elle avant d'écarquiller grand les yeux quand il s'empara de Monsieur Tombeur. *Oh non ! Tout mais pas ça !*

Trop tard, la Nouvelle Soupe embarquait la marionnette et quittait la pièce. Elle n'eut pas le temps de le suivre que le type à l'oreillette était sur elle. Un garde du corps ? C'est ce qu'elle crut au tout départ, mais son discours la laissa douteuse. Et pas rassurée du tout.

- Je ne lui ai rien donné du tout, c'est lui qui me l'a volé ! se récria-t-elle.

Pour le revolver, elle l'aurait deviné cela dit et elle n'avait pas vraiment l'intention de faire montre de velléités héroïques.

- Elle appartient à mon colocataire. S'il vous plaît, il faut que je la récupère, elle lui est très précieuse...

Pourquoi à mesure qu'elle parlait son discours lui semblait-il de plus en plus bancal ? Comme si quoi qu'elle dise, elle était certaine de se retrouver dans une situation pire encore. Elle ne bougeait pas, ayant bien noté que le moindre geste pouvait signer son arrêt de mort. Et elle tenait bien trop à sa vie pour la risquer pour une personne qu'elle ne connaissait pas il y avait encore peu, voire même pour rien.

L'homme marqua une longue pause avant de jeter un coup d'œil par dessus son épaule. Il chuchota à nouveau à l'oreille de Johanna :

"Dites moi, vous avez une idée de comment vous débarrasser de ce truc là ? J'ai l'impression que ça filme..."

Il soupira puis lança :

"Ne vous inquiétez pas, je suis policier. Ma plaque est sur moi, je vous la montrerai quand nous aurons un peu plus de tranquillité. Maintenant, je sais que vous n'êtes pas mouillée dans cette affaire..."

Il posa sa main sur le dos de la jeune femme et lança :

"Tant que vous n'avez pas trouvé un moyen de vous débarrasser du bidule, continuez à jouer... Il ne faut pas attirer l'attention plus que ça..."

Le temps lui parut long, interminable. Pourquoi avait-on si facilement l'air débile en ne disant que la stricte vérité ? Elle était sûre qu'il ne la croyait pas, qu'il allait l'emmener elle ne savait trop où. Et quand il jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule avisant sans doute la caméra, elle revit des scènes de films policiers où les méchants désactivaient les systèmes de surveillance avant de pouvoir enlever les protagonistes.

*On se calme, on n'est pas à la télé... Enfin si, mais pas comme ça...*

Il lui chuchota quelques mots à l'oreille, et son coeur s'emballa. Voilà, il voulait supprimer les preuves... Elle chuchota à son tour, pas très sûre de la conduite à tenir.

- C'est pas qu'une impression : ça me suit partout à part... à part dans ma cabine.

Elle l'avait dit naturellement, mais peut-être qu'elle en avait trop dit, justement. Pourtant quand il affirma être policier, elle se détendit quelque peu, encline, peut-être un peu naïvement, à lui faire confiance. De toute façon, vrai ou faux, que pouvait-elle faire d'autre que l'écouter et obtempérer ? Il était armé. Pas elle.

L'air de rien, elle hocha la tête et le guida jusqu'à sa cabine, entamant une conversation bateau sur ce qu'elle allait faire une fois parvenue aux Etats-Unis - même si elle ne comptait pas vraiment se lancer dans une carrière musicale, aussi alléchante l'idée pût-elle lui sembler - espérant ainsi tromper la caméra, qui enregistrait sans doute aussi bien l'image que le son.

Une fois devant sa porte, elle l'ouvrit naturellement, s'effaçant pour laisser entrer le policier, et referma derrière elle en s'assurant que la caméra flottante ne la suivait pas. Un coup d'oeil à sa montre-bracelet pour vérifier qu'elle n'était pas en train de fonctionner et elle sembla à la recherche de quelque chose dans la pièce. Tout en arpentant les lieux pour vérifier la présence (ou non) de Gary, elle murmura.

- Dans quelle affaire vous pensez que je peux être impliquée ? C'est très dangereux ? Je veux pas d'ennui moi, j'en ai déjà bien assez avec Gary... et par pitié, dites-moi qu'il va y avoir un moyen pour que je récupère Mons... la marionnette, je veux pas avoir à subir les pleurs de mon co-piaule pendant toute la traversée...

La caméra suivit le duo jusqu'à la cabine de Johanna... Le "policier" n'avait pas l'air très rassuré, en fait... Il jetait de temps à autre des regards furtifs.

Mais le plan de Johanna fonctionna et elle se retrouva seule (Gary avait jugé bon de quitter les lieux) en compagnie du vieux type. Par ailleurs, son bracelet ne fonctionnait pas non plus pour le moment.

L'homme alla directement s'asseoir sur le lit et il se passa la main dans les cheveux. Il écouta les paroles de la jeune mutante et sortit une plaque officielle de sa poche.

"Agent Spécial Stellan Feuerstürm. Je n'ai pas menti"

Il rangea l'insigne et poursuivit :

"Je comprends bien que vous êtes innocente. Après tout, vous avez voulu récupérer la marionnette..."

Feuerstürm prit une grande inspiration. La situation était complexe.

"Il se trouve que le bureau de New-York du FBI a intercepté un message selon lequel un individu suspecté de pratiquer des activités terroristes embarqueraient dans ce navire aux fins de rejoindre le territoire américain. Aussitôt, je me suis rendu en Afrique du Sud aux fins d'enquêter sur place et de prendre place à bord de cette croisière"

Il regarda Johanna :

"Olaf von Rostropopovich n'est pas un musicien. Il a gagné la Nouvelle Soupe en se faisant doubler. D'ailleurs, vous avez pu constater le caractère particulièrement insipide de sa production réelle... Enfin, bref... Les services douaniers ont fait en sorte de contrôler ses bagages mais n'ont rien trouvé..."

L'agent baissa les yeux. La partie qui suivait allait être coton à avaler...

"Rostropopovich est un virologue russe. Nous surveillons ses déplacements depuis que nous savons qu'il est membre d'une organisation nazie prônant l'élaboration d'un super-aryen et la destruction de tous les mutants inférieurs... Nous avons peur qu'il ne finisse par ramener sur le territoire américain des armes bactériologiques. Mais les autorités sud-africaines l'ont tout de même laissé embarquer, n'ayant rien trouvé de suspect sur lui ou dans ses bagages..."

Feuerstürm sourit à Johanna.

"Nous pensons qu'il a élaboré une arme anti-mutant. Et nous pensons également qu'il se la verrait remettre à bord par un passager. Bref, vous voyez certainement de quoi je veux parler..."

Pas de caméra flottante, personne dans la cabine et rien à signaler non plus du côté du bracelet... Johanna soupira : enfin un peu de répit. Elle resta debout, cependant, avisant la plaque du policier.

- Johanna Kellermann, répondit-elle d'un ton mécanique. Enchantée.

Ou pas. Si elle avait seulement pu ne pas se retrouver sur ce bateau, suivie par des caméras presque en non-stop, mouillée dans une affaire dont elle ignorait encore tout et qui n'allait pas manquer de la laisser sans voix. Au moins, il croyait à son innocence, c'était déjà ça. Mais pour le reste...

- Ca qu'il est pas musicien, je confirme... Il a martyrisé ce pauvre synthé...

Mais elle n'était pas au bout de ses surprises. Elle tentait d'enregistrer toutes les informations qu'il commençait à lui asséner, au fur et à mesure, et ses yeux s'agrandirent d'effroi.

Alors elle se retrouvait au coeur d'un complot mêlant un scientifique russe et une organisation nazie, visant à l'élimination des mutants inférieurs (comment ça, mutant inférieur ?), que le FBI (non cette fois, ça n'était vraiment pas à la télé) cherchait à prévenir.

- Agent Feuerstürm, c'est comme ça qu'on dit ? Je veux bien vous aider, mais je sais pas comment faire. C'est pas vraiment le genre de trucs qu'on apprend au lycée...

Elle recommença à faire les cent pas dans la cabine, comme précédemment avec Gary.

- Le passager que vous recherchez, ça peut être n'importe qui... Je comprends que vous ayez cru que ça ait pu être moi avec Mons...

Et si c'était plus qu'un hasard ? Et si la production, et Gary, étaient de mèche ? Et si elle avait été l'instrument de cette organisation nazie qui visait à éradiquer tous ceux qui, comme elle, avaient eu la malchance de naître avec le gène X ? Elle s'arrêta net, les mains tremblantes montant à son visage et énonça à haute voix ses réflexions.

- Le russe a la marionnette et je vois pas comment la récupérer. Elle appartenait à mon co-piaule, un type lambda, voire même moins que ça. Je l'avais parce que la production de je sais pas quel show, celui des caméras, m'a ordonné de faire pleurer Rostro-machin avec sous peine de laisser entendre que j'avais volé mon billet. Gary, il est gagnant de la Nouvelle Nouille. Ros... le russe, de la Nouvelle Soupe. Et à ma place, ils s'attendaient tous à ce qu'il y ait une autre fille, une gagnante de la Nouvelle Bombe je crois... Si... Si tout ça c'était manigancé ? Si j'avais été qu'un pion ? Ca se trouve ils ont déjà ce qu'ils voulaient à cause de moi... Il faut pas qu'ils fassent ça... Ils peuvent pas éliminer tous les gens com... tous les mutants...

L'idée d'un tel génocide la fit pâlir et elle se laissa tomber lourdement sur le lit. La tête entre les mains, elle murmura deux fois "C'est un cauchemar..." avant de se tourner de nouveau vers Feuerstürm.

- Qu'est-ce que je peux faire sans risquer ma peau ?

L'agent spécial s'alluma une clope puis commenta :

"Très exactement. La marionnette. Quand j'ai vu Rostropopovich l'embarquer, je me suis dit qu'elle devait contenir la souche du virus. C'est pour cette raison que j'ai tenté de vous impressionner. Si j'avais pu obtenir un aveu de votre part, j'aurai passé le relai à la sécurité du navire. Ici, je n'ai aucun pouvoir. Du moins, jusqu'à notre arrivée à New-York"

Il tira longuement sur sa cigarette puis reprit :

"Si Rostropopovich a triché pour gagner, pourquoi tout ne serait pas truqué ? Ça se tient... Il faut confondre le russe et tous ses complices. Faites attention à tout ce qui vous semblerait louche. Je pense que de part votre statut - comme cette télé-réalité semble vous faire confiance - vous aurez plus les mains libres que moi. Ma cabine est la 114. Revenez me voir ou laisser moi un message si vous avez du nouveau"

Feuerstürm se leva et s'avança vers la porte.

"Je pensais une chose... Cette caméra doit nous attendre dehors. Si vous avez une idée pour justifier ma présence ici, c'est le moment. Sinon votre couverture risque d'être grillée..."

Johanna grimaça quand l'agent s'alluma une cigarette. Il aurait au moins pu lui demander son avis ! Elle se concentra sur ce qu'il disait, se relevant pour s'éloigner de la fumée.

- Alors j'ai hâte qu'on arrive à New-York. Parce qu'à présent, je ne peux faire confiance à personne...

Elle, elle en avait un de pouvoir, mais elle ne voyait pas vraiment comment il pourrait lui servir. Et elle songea avec amertume que la traversée allait être encore plus longue qu'elle ne l'avait déjà pensé. Même Gary devenait un potentiel ennemi, alors qu'elle l'avait pris pour un pauvre type désespéré.

- Il y a deux trucs qui me laissent perplexe. Déjà, y a ce type, black au regard lubrique, qui est sorti quand vous êtes arrivé au bar. On dirait qu'il s'est enfui, comme s'il avait le feu aux fesses. Et puis y a ce qu'a dit le russe. "Tu t'appelles Monsieur Tombeur ?" qu'il m'a fait. C'est le nom de la marionnette. Mais je l'ai pas dit. Je suis sûre que je l'ai pas dit.

Ce qu'il ajouta lui fit froid dans le dos. S'ils avaient vu juste, ils étaient deux contre une organisation entière qui avait plusieurs membres à bord. Et même si elle avait, selon ses dires à lui, les mains plus libres que lui, elle ne voyait pas trop bien comment elle pourrait en apprendre plus. A moins... De laisser traîner ses oreilles, il n'y avait plus que ça à faire. Elle refusa de noter le numéro de sa cabine, de peur que l'on tombe sur ce qu'elle aurait pu écrire, aussi se répéta-t-elle plusieurs fois le numéro 114 mentalement pour le garder en mémoire.

- C'est noté. Si j'ai du nouveau, je vous préviendrai. Quant à notre alibi... Mes parents tiennent un lodge où beaucoup de touristes passent à Windhoek. Disons que vous êtes un des clients de mes parents, je vous ai reconnu et on a discuté quelques temps de plus de ce que nous allions faire une fois rentré aux Etats-Unis pour vous, parvenue à destination pour moi. Ou plutôt non, c'est vous qui m'avez reconnue, c'est vous qui m'avez interceptée au bar. Ca me laissera l'occasion de revenir vous voir pour "prendre de vos nouvelles" (elle mima les guillemets) "au cas où. Donc si on se croise sur le bateau, on n'est pas obligé de faire comme si on ne se connaissait pas... Ca tient ?"

"Moi, j'ai surtout hâte de passer les menottes à Olaf et à ses complices..." lâcha Feuerstürm un peu abruptement.

Puis, comme pour s'excuser de sa rudesse, il ajouta :

"Car si on foire, ça va être un carnage..."

Il jeta sa clope au sol et l'écrasa du talon. Puis, avant d'ouvrir la porte de la cabine, il lança à Johanna :

"Ce sont effectivement des détails troublants. Essayez d'en savoir plus... Quant à votre histoire..."

L'agent spécial ouvrit la porte et poursuivit d'une voix plus détendue devant la caméra qui était toujours stationnée au même endroit :

"Formidable Mademoiselle, je savais bien que c'était vous que j'avais vu dans cette lodge... J'ai l'oeil tout de même !"

Il salua d'un signe de main la jeune fille et termina :

"J'espère bien que nous aurons l'occasion de papoter un peu plus longuement"

Puis, il referma la porte, laissant Johanna, cette fois-ci, bel et bien seule dans sa cabine.

*Bah j'aimerais bien qu'on passe les menottes à ces tordus, moi aussi, sinon je serai aux premières loges pour le carnage* pensa Jo, sans pourtant prévenir son complice de son statut.

Devait-elle lui dire ? Impossible à déterminer pour l'adolescente, et dans le doute, elle préférait s'abstenir. Il y aurait peut-être un moment où elle devrait révéler sa nature, et dans ce cas, elle le ferait, mais pour l'instant, elle avait encore le choix. Ca ne serait peut-être pas le cas bien longtemps encore.

Et puis zut quoi, elle n'était qu'une ado, qu'espérait-il de sa part ? Comment voulait-il qu'elle trouve la solution miracle du haut de ses dix-sept printemps ? Nouvelle grimace quand il jeta sa cigarette au sol et l'écrasa du talon. Il ne pouvait pas la jeter ailleurs ? Elle se baissa pour ramasser le mégot et le jeter dans une poubelle, alors qu'il confirmait que les détails mentionnés pouvaient être troublants. Bon. Ben voilà, elle n'avait vraiment plus qu'à laisser traîner ses oreilles, donc... Au moins, pour ça, elle avait un avantage et la possibilité de rester assez discrète.

Feuerstürm ouvrit la porte et elle sourit aussi naturellement qu'elle le put, dès fois qu'elle fût dans l'angle de la caméra.

- Oui, rajouta-t-elle, d'un ton badin, c'est dingue comme le monde peut être petit parfois...

Elle répondit à son signe de la main, et lança un "bonne nuit" avant que la porte ne se refermât.

Et maintenant, il allait falloir qu'elle explique à Gary la disparition de sa marionnette quand il rentrerait. De deux choses l'une : soit il était de mèche, et il serait content de savoir que l'objet était aux mains d'Olaf machin-truc, mais il devrait le cacher, donc il aurait l'air éploré par la perte de son meilleur ami ; soit il était innocent, simple jouet dans les mains d'une organisation trop grosse pour lui, et il serait réellement éploré. Dans les deux cas, il allait falloir qu'elle se montre paniquée, désolée de s'être ainsi fait délester de Monsieur Tombeur.

Johanna passa les mains sur sa nuque, à nouveau assise sur le lit.

*J'ai jamais voulu être actrice, encore moins espion ou agent secret* songea-t-elle, maussade.

Rester assise à attendre le retour de Gary, c'était juste insupportable. Elle gagna donc la salle de bain pour se mettre en tenue de nuit - un marcel noir et un pantalon de jogging gris - avant que son colocataire forcé ne rentre. Elle se préparerait ensuite à dormir par terre, comme elle l'avait indiqué plus tôt dans la soirée, monopolisant un des coussins et un drap ou une couverture, en fonction de ce qu'elle trouverait dans la cabine sans pour autant complètement déshabiller le lit.

Au bout d'une bonne demi-heure, la porte s'ouvrit à nouveau : il s'agissait de Gary et il avait l'air plutôt satisfait de lui-même. Il sourit à Johanna puis s'assit sur le rebord du lit et entreprit d'enlever ses godasses.

"Ça va toi ? Tu..."

Il jeta sa chaussure gauche sur le lit.

"Tu t'es bien amusée, non ? T'as parlé à Rostropopovich ?" continua-t-il sans bégaiement.

Une demi-heure. Il avait fallu qu'elle patiente une demi-heure pour qu'enfin Gary reparaisse, et elle n'avait pas vraiment trouvé la phrase parfaite pour lui expliquer ce qu'il s'était passé sans griller sa couverture. Maintenant qu'il était lui aussi au nombre des suspects, il allait falloir qu'elle réfléchisse à deux fois à tout ce qu'elle pourrait lui dire. Elle décida donc de s'en tenir à ce qui avait été convenu et à ce que la caméra pouvait retranscrire.

Quand la porte s'ouvrit, donc, elle ressassait pour la quarantième fois au moins ce qu'elle pourrait dire à Gary et comment elle pourrait aborder le sujet houleux de Monsieur Tombeur. L'air satisfait du gagnant de la Nouvelle Nouille lui fendit le coeur. S'il n'était pour rien dans tout ça, elle allait lui asséner un coup bien difficile à encaisser. Il lui sourit, s'assit sur le lit et entrepris d'ôter ses chaussures. Les doigts noués et la gorge serrée, elle s'approcha un peu et inspira profondément avant de prendre la parole.

- Gary... Je... Je suis désolée. J'ai vu le russe. Mais... Ca s'est pas passé comme je voulais. Il a joué un morceau, j'ai voulu l'accompagner, il a pris la mouche et est parti en emportant Monsieur Tombeur. J'ai voulu le rattraper, je te jure, mais... Y avait ce type, un ancien client de mes parents, et je l'ai perdu de vue. J'ai discuté un peu avec cet homme, comme tu le verras sur les vidéos, mais je te jure que demain je retournerai voir Ros... machin-chouette. Je suppose que je le retrouverai de nouveau à l'auditorium ou au bar. Et je récupérerai Monsieur Tombeur. Je sais pas encore comment, mais je vais trouver. Je le supplierai à genoux s'il le faut, mais je te le ramènerai.

Elle n'avait pas respiré et reprit une profonde inspiration, après sa tirade un peu trop rapide sans doute. Elle sentait le feu lui monter aux joues et son coeur battre la chamade.

*Faites qu'il me croie je vous en supplie, je vous en prie, je vous en prie, je vous en prie...*

Elle ne savait pas très bien à qui elle adressait cette prière, mais elle trottait dans sa tête comme une litanie pour taire la crainte de ce qui l'attendait au cours de cette trop longue traversée.

- Je suis désolée... Vraiment... Et je comprendrais que tu m'en veuilles, mais je te le jure, je le récupèrerai.

Gary s'arrêta un instant, son autre chaussure à la main pour écouter ce que Johanna avait à lui dire. Il parut terriblement stupide ou bien complétement distancié de ce qu'il entendait. Puis, il lâcha d'un ton étrangement égal :

"Euh... Oui, c'est une terrible nouvelle ! Une très terrible nouvelle ! Tu n'aurais pas du laisser Rostropopovich emporter Monsieur Tombeur... Tu..."

Il lâcha son autre chaussure au sol. Son visage se durcit :

"Attends... Si je comprends bien, TU AS LAISSE MONSIEUR TOMBEUR AU GROS NAZI ?"

L'expression de Gary était inattendue. Il se leva et s'avança vers la mutante mais s'arrêta en chemin. L'air complétement effondré.

"Ça... Ça veut dire que c'était CE TRUC qu'il voulait ?"

Il parut se détendre et partit dans un grand fou rire. Était-il devenu fou ? Comme à lui-même, Gary lâcha :

"Eh ben, heureusement que c'était un faux ! Oui... Heureusement..."

La réaction de Gary ne fut pas immédiate. Ou plutôt, immédiatement, il s'arrêta et resta inerte, prononçant quelques mots d'un ton absent. Jo le regarda, hébétée. Non, certainement qu'elle n'aurait pas dû laisser le gros russe emmener Monsieur Tombeur mais...

La deuxième chaussure tomba au sol et le visage de la Nouvelle Nouille changea, prenant un air beaucoup plus dur. Et quand il se mit à crier, Johanna sursauta. Le gros nazi ? Il l'appelait donc ainsi ? Qu'est-ce qu'il savait ? Qu'est-ce qu'elle était censée savoir ?

Elle recula instinctivement quand il s'approcha d'elle et s'arrêta quand il cessa à son tour d'avancer. Ce truc... Il appelait Monsieur Tombeur ce truc ? Alors qu'il avait semblé y tenir comme à la prunelle de ses yeux tout à l'heure ?

Le fou rire qui lui prit peu après la laissa pantoise, incapable de savoir quelle conduite elle devait tenir. Elle n'osait pas approcher davantage, ni faire le moindre geste, de peur de froisser davantage son colocataire. Pourtant, elle éleva malgré tout la voix, complètement paumée.

- De quoi tu parles ? Je comprends rien...

Ce qui était la stricte vérité, même si de son côté, elle avait gardé un certain nombre de faits secrets...

Gary se laissa tomber sur le lit, pris à nouveau d'un fou rire...

Il se bidonnait et l'air ébahi de Johanna intensifiait son hilarité. Finalement, le gagnant de la Nouvelle Nouille parut se calmer. Il reprit une expression sérieuse et lâcha :

"Tu pensais vraiment que j'étais un pignouf ?"

Il défit le bracelet montre qu'il portait au poignet et le fracassa contre le mur.

"Voilà une bonne chose de faite. Maintenant..."

Gary fit un geste rapide et attrapa un objet qui était caché entre le sommier et le drap. Un pistolet. Il le pointa sur Johanna.

"Maintenant tu vas faire de même avec ton bracelet. N'essaye même pas de l'activer. N'essaye même pas de me doubler. Et après tu te déshabilleras entièrement..."

La jeune femme remarqua que la main de Gary ne tremblait pas. Et il avait l'air terriblement sérieux. Et calme. Pas comme un pervers de seconde zone.