[22/06/2112] Retour sur le passé

Qu'allait-elle trouver en arrivant là? Cela faisait un mois qu'elle avait été embauché, avait fait sa journée d'essai, failli mourir et n'était plus revenue. Pour ce qu'elle en savait, ils étaient morts au sommet de ce dojo. C'est pour ça qu'elle avait reculé jusqu'à aujourd'hui le moment de venir ici. Parce qu'elle avait peur de ce qu'elle allait y trouver. Un endroit vide, fermé, en deuil? Ou bien eux? S'en étaient-ils sortis, eux aussi? La jeune femme craignait un peu, voire même totalement ce qui allait se passer lorsqu'elle serait sur place.

Ava avait pris le métro pour venir, descendant deux stations avant l'arrivée pour retarder le moment où elle arriverait enfin. Mais, à présent qu'elle se retrouvait devant l'immeuble, elle ne pouvait plus faire demi-tour. Il lui fallait aller sonner à la porte et voir ce qui adviendrait. Pourtant, elle jeta un regard vers le ciel sans nuages, retardant encore l'échéance, et poussa un profond soupir. En cet instant, elle aurait donné n'importe quoi pour être ailleurs.

Tandis qu'elle attendait à la porte, Ava entendit une voix familière jurer de manière particulière grossière.

"Ouais, ouais, j'arrive... J'espère que t'es venue avec ton propre uniforme de soubrette car le mien est au pressing. Et là comptes pas que je te payes un taxi !"

La porte s'ouvrit.


C'était Mike Mattress. Et son sourire idiot disparut aussitôt qu'il aperçut Ava. Il jura à nouveau et lança :

"Bordel, quand Dean va apprendre que j'ai commandé sur le net une meuf qui ressemble à la p'tite Ava..."

Peut-on se sentir à la fois conne, soulagée, et en colère? Ce fut, en tout cas, le sentiment d'Ava lorsqu'elle entendit une voix familière de l'autre côté de la porte, avec un discours tout aussi familier, si tant était qu'avoir "fréquenté" une personne pendant 24 heures la rendait familière. A dire vrai, la jeune femme s'était attendue à tout sauf à ça. Elle s'était attendue à ce que le bureau ait été abandonné, ou que d'autres personnes l'aient repris. Mais voir Mattress ici, venir lui ouvrir la porte c'était... "Putain d'merde... Si j'm'attendais à ça..." répondit-elle tout aussi grossièrement que l'homme avait parlé quelques instants seulement auparavant. Pour un peu, elle lui aurait sauté au cou de soulagement, avant de le gifler. Car, mine de rien, un mois plus tôt, on ne pouvait pas dire qu'il avait fait grand chose pour leur sauver la peau.

"Comment va Crept?" demanda-t-elle alors. Crept. C'était pour lui qu'elle s'inquiétait le plus, à dire vrai. Car il lui avait sauvé la vie, mine de rien. La jeune femme secoua la tête avant d'ajouter: "Tu m'laisses entrer, où j'dois faire l'pied d'grue su'l'trottoir? Nan, parc'que j'te rassure, c'pas d'main la veille qu'tu m'verras en p'tite tenue, ou en tenue d'soubrette..." Ce qu'elle n'ajouta pas à voix haute, c'était que c'était sans nul doute la dernière fois qu'il la voyait. Elle le savait en vie, elle voulait s'assurer de l'état de Crept, et donner sa démission. Cette partie de sa vie était, pour elle, derrière elle. La preuve? Elle avait retrouvé un emploi de serveuse et allait même, peut-être, suivre des cours du soir. Ils avaient tous trop d'éducation par rapport à elle, à Ganymède, et cela la dérangeait, parfois...

Mattress s'écarta et laissa Ava pénétrer dans les locaux de l'agence. Ça n'avait guère changé depuis qu'elle les avait rencontré. Pour l'heure, il n'y avait personne d'autre.

"Crept va bien. Là, il fête un anniversaire... Enfin, un truc pas cool, quoi..."

Le grossier détective fit étrangement une grise mine. Puis, il se ravisa et demanda, réellement intéressé :

"Punaise, je croyais que t'étais morte en fait après la chute que t'as faite. Et crois-moi ou pas, mais avec Crept on a prié pour tes jolies petites fesses !"

Crept allait bien, lui aussi. Tant mieux. La moitié de la tâche pour laquelle elle était venue était accomplie: s'assurer qu'ils allaient bien. Maintenant, elle n'avait plus qu'à donner sa démission. Plus facile à dire qu'à faire. "J'suis contente qu'vous soyez vivants tous les deux." dit-elle avec sincérité en suivant Matress à l'intérieur. Les lieux n'avaient pas changés le moins du monde, ce qui, au fond, n'était guère surprenant. Quant à la question indirecte de Matress:

"Disons qu'j'ai appris à voler, et qu'Crept a pas trop mal visé... M'en suis tirée avec des côtes cassées, mais j'ai été bien soignée." résuma-t-elle particulièrement brièvement avant de retourner la question: "Et d'vot' côté? J'croyais qu'le gaz de March était mortel? Comment vous vous êtes tirés d'ses griffes?"

Pouvait-elle parler de ce qui les préoccupaient, chez Ganymède-Manhattan? Mieux valait peut-être attendre un peu, savoir comment ils s'en étaient sortis. Au moindre soupçon, elle se démerderait seule. Sinon, ils pourraient peut-être les aider, en fait... Dire qu'il m'agaçait, lui... Faut croire qu'avoir frôlé la mort avec lui m'a fait changer d'opinion songea-t-elle, amusée.

Mattress parut gêné par la question. Il commença, d'abord, par l'esquiver.

"Bah, tu sais... On est les fabuleux détectives karmiques. On rééquilibre les comptes à coups de flingues et on s'est déjà échappés une fois de l'Enfer, juste après avoir rencontré le Très-Haut, alors c'était fastoche... Euh..."

Puis, il se dandina à la manière d'un poulet sans tête. Avant de cracher le morceau :

"Ben... J'ai cru que l'heure de mon dernier juron était venu... Mais ce fumier de March avait bluffé. C'était juste pour nous mettre dans les vap's son gaz. J'crois qu'il tenait trop à la vie de ses deux poufs pour les buter... Enfin, on a du passer un deal avec lui..."

Il avala sa salive et passa un peu trop rapidement à la suite.

"Ce qu'il savait pas c'est que tout se paye dans ce bas monde. En parallèle, on a fait des recherches sur lui et c'qu'on a trouvé c'était pas terrible, terrible... Il ferait partie d'une organisation de gros dégénérés dans son genre... La Compagnie des Amis. Pis, on la collait au train, comme des détectives doivent faire quoi !"

Le sourire niais de Mattress apparut à nouveau sur son visage.

"Bref, il a fait un p'tit voyage en Angleterre pour voir un écrivain à la noix... Un type qui écrit des bouquins d'horreur. Enfin j'sais pas trop ce qu'il est allé glander là-bas, en tout cas il est revenu avec un cancer en phase terminale... Et il est allé se terrer dans l'un de ses nombreux clubs à Los Angeles pour y caner en paix..."

Le détective se bidonnait maintenant, comme s'il racontait une bonne blague.

"Entre temps, on a retrouvé notre bonne vieille Sadie qui était revenue bredouille d'un contrat foireux en Afrique du Sud. On l'a envoyé en sous-marin chez March, pour le zigouiller... Histoire qu'on le bute avant que la mort ne le fasse ! Mais des ploucs de l'Institut Xavier se sont interposés et ont voulu dézinguer March avant nous... Bref, résultat des courses, la p'tite Sadie a pas mal morflé et elle a même pas eu la joie de dévisser la tête à March... Mais le vieux filou est mort..."