[COURTIER de James Murray]Campus de l'Université de Pennsylvanie / Philadelphie / Entrainement matinal

6h00 - Stade de l'Université

Ce n'était pas parce que son avenir dans le football était pour le moment mis entre parenthèses qu'il fallait se relâcher. James savait qu'il devait garder la forme s'il voulait pouvoir revenir sur un terrain au meilleur de sa forme. Cette belle matinée était le temps parfait pour l'entraînement, même s'il le faisait qu'il pleuve ou qu'il vente, c'était tout de même plus plaisant ainsi !

Il avait entamé par 10km de course pour se mettre bien en jambe, lorsqu'il sentit qu'il était bien chaud, il accéléra, d'abord normalement puis il donna une de ses fameuse accélération dont il a le secret et ralenti jusqu'à s'arrêter, plutôt satisfait. N'ayant pas de quoi travailler le plaquage, James se replia sur le travail des bras et du haut du corps.

Consciencieusement, il alterna abdominaux, pompes, répulsions pour les triceps. Pendant ce temps il faisait le vide dans son esprit. Il y avait eu trop de bouleversements dans sa vie, entre les troubles du pays et son propre corps qu'il pensait connaître cela faisait beaucoup, trop à en juger par les conséquences sur son poste de linebacker dans l'équipe de football des Nittany Lions de l'université. Il lui restait les études mais c'était grâce au sport qu'il avait décroché sa bourse pour ses études, qu'en adviendrait-il s'il perdait la bourse ? Même entre son salaire et celui de ses parents... non ses parents avait déjà du mal sans ses frais scolaires alors il était hors de question de leur demander de telles sommes.

James se sentait déjà un peu plus à l'aise, la découverte de son don avait été un choc mais il commençait à le maîtriser de mieux en mieux. En sport, connaître son corps et ses limites est primordial, que l'on soit humain "normal" ou mutant cela ne change rien. Néanmoins la suspension courait encore, et même lorsqu'elle sera terminée, le linebacker savait comment il affronterait de nouveau ses adversaires mais pas leur regard ni celui des autres. L'agression dont il était la source avait été violente même si involontaire, à tel point que ses propres équipiers l'avaient regardé comme une bête bizarre, et si dans les douches la nudité ne dérangeait pas, dans le cas présent cela n'avait rien arrangé !

James souleva son T-shirt et contempla ses abdo, il tira sa manche et regarda aussi ses bras puissants, pas peu fier de son "oeuvre". C'était aussi grâce à cet "outil" qu'il forgeait que James espérait tracer son avenir. Pour corser la suite il récupéra un disque de 20kg qu'il plaça contre son torse et repris des séries d'abdo de plus belle.

"Ah, tu es là !", s'exclama une rocailleuse voix que James put instantanément reconnaître comme étant celle de son entraîneur, qui arriva de son pas saccadé, vêtu de son éternel polo à rayures décoré d'un sifflet et d'un carnet dans la poche avant.

"T'as intérêt à être en forme ! On doit faire un match demain ! Contre l'équipe de l'Université de Rotterdam. C'est une ville en Europe, qui fait un truc je-sais-pas-quoi avec Philadelphie. En tout cas, ils se ramènent ici, et on m'a mis un match de gala sur les bras. Avec plein de beau linge dans les tribunes, qui veulent du spectacle. Alors faut oublier toute cette histoire de suspension, et se remettre au boulot. Entraînement dans deux heures. Et pas de miracles !"

Il hocha vigoureusement la tête pour mieux assoir ses explications, puis s'en fut à nouveau. Deux heures plus tard, toute l'équipe de l'université était sur le terrain à cavaler, lancer des ballons, et tenter de compresser avec les épaules un joug de bœuf motorisé, le tout sous les aboiements de ce cher entraîneur.

L'arrivée de James jeta néanmoins un certain froid...

James salua son entraîneur quand il arriva, se demandant ce qu’il pouvait bien lui vouloir. Il ne s’attendait certainement pas à être réquisitionné pour un match d’exhibition alors que sa suspension courait encore. C’est avec un large sourire qu’il écouta cette très vague histoire de Rotterdam, dont il savait à peine où cela pouvait se trouver et qui semblait, contrairement à James, ne pas trop enchanter son coach.

"Pas d’problème, coach ! Pas d’miracle, mais des plaquages à la pelle !" répondit James avec force conviction.

Alors que l’entraîneur tournait des talons, James remballait déjà ses affaires, il avait deux heures pour rentrer à sa chambre et sortir tout son matériel qu’il avait rangé, oh pas très loin mais tout de même plus que d’habitude ! Et c’est avec un grand enthousiasme qu’il se rendit à l’entraînement, sans penser une seule seconde à son futur accueil, il ne voyait que l’occasion de rechausser ses crampons, entendre son propre souffle rauque dans le casque et le grondement de la foule jusqu’à l’explosion à chaque action d’éclat. Ça devenait vite une drogue cette intensité, il en avait des frissons rien que d’y songer, la décharge d’adrénaline lorsqu’il poursuivait sa proie tel un grand prédateur lui manquait terriblement.

Il trottina sur le chemin et fit quelques mouvements de bras et de la tête pour essayer d’être chaud en arrivant sur le terrain d’entraînement, pressé qu’il était de retourner au charbon.

Mais la douche froide à son arrivée le ramena vite à la réalité. Il avait oublié ce "détail" d’importance. Essayant de faire comme si de rien n’était, James chercha du regard l’atelier correspondant à son poste pour s’y rendre comme à son habitude et démarrer l’entraînement. Il essaya de faire abstraction de ceux qui le regardaient bizarrement pour au contraire saluer chaleureusement ceux qui semblaient content de le revoir, enfin… s’il y en avait au moins quelques uns…

L’enthousiasme qui avait suivi l’annonce de l’entraînement par son coach deux heures avant s’était mué en une boule au ventre. Mais il en fallait plus pour décourager le gaillard.

Sitôt arrivé, James fut accueilli par des acclamations, et des claques aux épaules. Était-ce toutefois son esprit, ou bien tout ceci avait-il un goût de forcé ? Ou bien de convenu. Quelque chose d'obligatoire, que tout le monde faisait sans forcément trop y croire.

L'essentiel de l'entraînement se déroula avec le même état d'esprit. Les exercices avaient l'air normaux, habituels, apportant leurs lots de progrès au prix de litres de transpiration d'efforts, et de ce qui serait probablement quelques bleus, mais tout avait l'air trop habituel, routinier.

Le coup de sifflet final sonna comme une délivrance, mais presque plus de l'ambiance que de l'effort. À ce moment, James put voir arriver sur le terrain une troupe de joueurs aux costumes flambants neufs oranges vifs. Probablement l'équipe adverse qui venait tâter le terrain, sous les invectives compulsives de sa propre équipe, rapidement rabrouée par l'entraîneur.

"On va se boire une bière ?", proposa alors un des linebackers, même si l'invitation valait bien sûr après une bonne douche !

Ils étaient une équipe et en tant que tel, ils se connaissaient bien, avaient vécu des moments forts et devaient être soudés et se faire entièrement confiance dans les différents rôles. Alors qu’est-ce que c’était que cette impression bizarre de mascarade ?! James porta lui aussi son "masque" et accueillit les acclamations avec une pointe d’exhibitionnisme, roulant un peu des mécaniques comme à son habitude, c’était de bon ton d’en rajouter un peu.

Mais pendant ce temps, des questions trottaient dans sa tête.
Le coach les avait-il briefé avant qu’il n’arrive, leur demandant ce cinéma ?!
Pourquoi ?!
Pour faire comme si rien ne s’était passé ?!
Pour éviter que James ne se sente comme un pestiféré ?!
Parce que sinon ç’aurait été le cas comme le présageait le froid en arrivant ?!

Le linebacker préféra laisser cette montagne de questions de côté pour le moment, trop content de pouvoir retourner sur le terrain et tâter du ballon. Il se concentra sur l’entraînement, néanmoins fade comme un hot-dog sans moutarde. Il en poussa même un soupir de soulagement au coup de sifflet, pouvant heureusement être interprété comme un soulagement de l’effort et non de l’ambiance pesante.

Lorsqu’il vit débarquer ce qui ressemblait à leurs futurs adversaires d’un jour, James ne put retenir un petit commentaire à destination de ses équipiers sur le ton de la blague :
"Qu’ils en profitent de leurs beaux maillots neufs, demain ils seront vert et brun et mériteront un bon lavage !"

Quand son équipier proposa d’aller boire un verre, James écarta les bras en croix en s’exclamant :
"Oh yeah ! C’est pas de refus ! Mais juste une alors ! Demain c’est jour de match et une gueule de bois c’est pas funky ! Par contre j’ai pas précisé la taille du verre…" dit-il en mimant une choppe d’une taille plus que respectable.

Il paraît que la tolérance à l'alcool dépend du poids... heureusement.

Cette petite virée promettait d’effacer un peu l’arrière goût de rance de l’entraînement avec de bonnes rasades d’une mousse blonde et quelques vannes certes probablement un peu graveleuses.

Le vestiaire et la douche furent assez habituels : commentaires divers sur l'entraînement et les matchs à venir, claques dans le dos, quelques vannes potaches. Parano ou non, James se sentait vaguement mis à l'écart.

L'équipe arriva finalement au bar où elle avait ses habitudes. Les pintes de bière furent commandées, et les conversations allaient bon train : les filles, le match à venir, et les quelques matchs précédents.

Toutefois, James se sentait vaguement à l'écart : il n'était pas sur le terrain lors des matchs, et les allusions et références semblaient alors confuses. Et aux dernières nouvelles, les pom-pom girls ne sortaient pas avec les mêmes membres de l'équipe.

Quelque chose ne tournait définitivement pas rond dans sa tête.

La séance de douche n’arrangea pas franchement les choses. Lui qui commençait doucement à monter en pression à être pris pour une buse se retrouvait quasiment sur la touche. Il rongea pourtant son frein. Ce n’était pas le moment de faire un scandale, ok, il allait faire un peu profil bas, c’était de bonne guerre après ce qu’il avait fait.

Ils se rendirent au bar, James se disant que l’alcool aidant, l’atmosphère se détendrait sûrement un peu. Mais apparemment ce n’était toujours pas le cas.

*Bon… qu’est-ce qui s’passe ?… Chui tombé dans la cinquième dimension pendant mon sommeil ou quoi ?!... J’veux bien croire que j’ai loupé quelques matches mais là c’est pas possible !... machin est pu avec truc et c’est bidule qu’est avec l’autre ?!... On se croirait dans un soap… non !... pire qu’un soap !*

L’autre solution était qu’il fut soudainement devenu cinglé ou que la bière lui soit montée à la tête…
Non en fait il serait plus probable qu’il soit devenu cinglé plutôt que la seconde solution !
Ou alors au lieu de dormir il avait passé un an dans le coma…

James prit une grande lampée de bière et se lança pour essayer de briser la glace :
"Vous en pensez quoi des… lutins oranges qu’on a croisé ? On a de quoi se méfier ou c’est du tout cuit ? On a au moins une idée de quoi ils sont capables ou s’il y a l’un ou l’autre gars dont il faudrait se méfier ?"

Il verrait bien comment les autres réagiraient.

Tout ça sentait le louche à plein nez !
Bon ok, c’était sympa que le coach le reprenne pour ce match malgré sa suspension. Mais est-ce que c’était vraiment le coach qui voulait de lui dans l’équipe ?! L’avait-on forcé ?! Cela expliquerait au moins ce carnaval sans Rio et les danseuses ! Mais si c’était ça alors qui ?!

Plus il tournait cette histoire dans ça tête et moins cela avait de sens. Les autres n'avaient peut-être tout simplement pas envie de le revoir sur le terrain maintenant qu’ils savaient ce qu’il était. Après tout, ces derniers temps, avec la République Fédérale et tout ce fatras de mutants, pas mal de monde devaient les avoir en grippe les... mutants.

Et lui-même, comment aurait-il pris la nouvelle si ça avait été un de ses équipiers qui s’était révélé de façon aussi… démonstrative en plein milieu d’un match ? Pour sûr ce n’était pas la meilleure façon de se faire remarquer !

La lancée de James eut l'effet mat et lourd semblable à celui provoqué par la question "et les amours, ça va ?" posée à un célibataire désespéré. Après un bref silence gêné, quelqu'un se hasarda à répondre

"Bah... C'est des Européens... Là-bas, leur truc, c'est le soccer. Certains jouent à un espèce de football pour tarlouzes, ils appellent ça le rugby. En tout cas, je pense pas qu'on ait grand chose à craindre d'eux."

Puis quelqu'un lança une question pour savoir qui de Bridget ou de Becky était le meilleur coup au lit, et les conversations animées et désinvoltes reprirent de plus belle, provoquant un nouvel accès de malaise chez James. Jusqu'à ce que quelqu'un place une chopine de bière bien remplie devant lui. C'était un jeune, un première année visiblement, fraîchement arrivé dans l'équipe. Il avait évidemment l'imposante carrure d'un linebacker, mais semblait en même temps un peu intimidé. En tout cas, il s'adressa directement à James.

"Ça va ? T'as pas l'air de t'amuser. C'est à cause du match ?"

Le pavé dans la mare d’eau croupie, le genre qui fait "ploc" au lieu d’un beau "plouf". Voilà ce à quoi lui faisait penser son intervention ou plutôt sa tentative de rentrer dans l’humeur du moment. Bon en gros l’échec du siècle quoi ! Une réponse à peine convaincante de la part du seul qui aura eu le courage de répondre au banni, au pestiféré, à l’inconnu qu’il était à présent.

Bon ! C’était définitif, James en avait raz le bol ! Son humeur vira au noir complet sans la moindre once de luminosité, comme au fond d’un puit sans fond ! C’est dire !

Le match de demain s’annonçait comme une exécution sommaire de pauvres amateurs plus habitués à jouer à la baballe gentiment et James retomberait aussitôt dans les tréfonds de l’oubli éternel.

Chouette programme !

Alors que déjà les discussions repartaient sur des niaiseries stupides, une lueur d’espoir dorée apparut devant lui. Une chopine apportée par un ptit nouveau !

James eut un petit sourire en coin et remercia le jeune en lui répondant :
"Bah ché pas trop… j’arrive pas à rentrer dans l’ambiance, ya un truc qui coince mais je peux pas dire quoi… donc j’m’emmerde !... Mais et toi ? T’es pas dans l’groupe à déconner avec eux ?!"

Quelle drôle de façon de remercier son sauveur en le renvoyant presque vers les autres histoire d’être encore un peu plus à l’écart. James pesta intérieurement. Est-ce qu’il devait prendre l’arrivée du jeunot comme de la pitié ou simplement de la bonne camaraderie ? Son humeur dégradée obscurcissait sûrement son jugement

Havre de paix au milieu d'un torrent de potins et d'exhibition verbale, ce providentiel interlocuteur de James semblait légèrement différent du commun de l'équipe de football... Il ne se formalisa pas des remarques légèrement bourrues de James, se contentant d'y répondre par un sourire blasé et désabusé.

"Bof, non. Je suis assez nouveau, je n'ai commencé le football qu'en début de session, et je n'ai quasiment jamais fait de matchs ailleurs que sur le banc, alors je comprends rien de ce qu'ils disent. Ils ont l'air vraiment dans leur trip.", fournit-il comme commentaire, pour finalement conclure.

"Et puis de toutes façons, je t'avouerai, je n'aime pas trop ces beuveries là. Ils parlent de trucs qu'ils sont les seuls à comprendre, ça fait un peu secte, je trouve. C'est bizarre que tu sois pas dedans. T'es plutôt connu pourtant !"

Un bleu, et en plus il n’avait même pas mis les pieds sur le terrain. S’il y avait une torture ultime en ce bas monde pour un joueur c’était de regarder les autres depuis le banc sans pouvoir participer à la bataille. On se demande pourquoi on reste là, si on a été choisi c’est pourtant parce qu’on a une valeur alors pourquoi est-ce qu’on ne nous utilise pas ? James compris aussi pourquoi son interlocuteur était un peu à l’écart, ces beuveries étaient certes un peu au raz des pâquerettes mais elles forgeaient l’entente dans l’équipe, elles participaient à l’ambiance et à la solidité du groupe, une sorte de rite tribal pour mâles combattants.

Mais là, tout d’un coup, il comprenait le sens du mot "secte" utilisé par le bleu. De l’extérieur on avait l’impression qu’ils étaient dans un autre monde, une bulle de bière et de pom-pom girls délurées ou de sacks violents et de testostérone. Quand on était dedans c’était juste un rassemblement de potes ou de vétérans parlant de leurs batailles et du déroulement de la campagne de guerre, des guerriers bien bâtis et populaires allant de conquêtes en conquêtes. De l’extérieur c’était une bande de gros lourds notant leurs coups d’un soir tout en buvant de la bière, le top de la lourdeur.

A la question sur son détachement du groupe, James hésita un instant sur sa réponse, prit une gorgée de la bière qu’on lui avait offerte et regarda le bleu droit dans les yeux avant de parler d’un air un peu grave :
"Ya pas si longtemps j’étais dedans, c’était avant de me prendre pour un taser humain en plein match et que je me retrouve nu comme un ver après ça. Bizarrement, depuis ce jour, en plus de ma suspension sportive j’ai eu aussi droit à la traversée du désert social ! Et il semblerait que je sois pas au bout du voyage…"

James scruta avec une certaine appréhension la réaction du bleu. Allait-il le fuir comme la peste ?! Si c’était le cas c’était décidé, il descendrait sa pinte d’un trait, lâcherait un rot sonore tout en claquant le verre sur la table et partirait du bar pour rentrer courir histoire d’évacuer l’alcool et la tension.

Il ajouta :
"Sinon moi c’est James…" dit-il en tendant la main à la bleusaille.

Un joueur était comme une arme de guerre, et même la plus belle des haches de combat finissait par ternir et rouiller si on ne s’en sert pas. James s’était senti inutile pendant sa suspension, et maintenant qu’on l’aiguisait à nouveau en prévision du combat, qu’il allait enfin sortir du fourreau, il n’avait peut-être pas envie de participer à cette bataille.

La jeune recrue haussa les sourcils en entendant l'anecdote de James sur le fait de se retrouver tout nu. Décidément il s'en passait de belles sur le terrain, même s'il n'avait manifestement jamais entendu cet épisode.

La subite présentation de James détourna son attention rapidement.

"Moi c'est Billy !", répondit-il, enjoué.

Il marqua un temps d'arrêt, sirotant sa bière, en essayant de suivre une conversation pleine de sous-entendus, puis finalement, regarda James, et fit observer.

"Tu n'as pas l'air super enthousiasmé par le match contre les hollandais... Tu n'as donc pas envie de "râper les mimolettes" ?", demanda-t-il, singeant les expressions vaguement racistes qu'avaient sorti les coéquipiers descendant la bière comme d'autres des ravins.

James faillit être déçu par le simple haussement de sourcil de son interlocuteur. Il s’était attendu à une réaction bien plus mauvaise, à tel point qu’il avait commencé à contracter les muscles de ses jambes, prêt à mettre les voiles. Une bonne partie de la tension accumulée ces derniers temps venait de disparaître lorsque Billy se présenta sur un ton léger.

Sans le vouloir, James détailla le bleu pendant qu’il sirotait sa bière et fut tiré de ses pensées par sa question.

"Les mimoquoi ?! Euh… bah l’ambiance aide pas trop à se mettre dedans mais même si le cœur n’y est pas trop il faudra juste être pro. Mon job c’est d’intercepter donc si je vois le moindre bout de tissu orange essayer de passer je cours et je le plaque, ça sera pas plus compliqué que ça ! Une fois sur le terrain je serai concentré, la beuverie d’aujourd’hui sera loin, il ne restera que la tension grisante du match. Faut savoir se faire sa bulle pour réagir plus vite, tu laisses parler l’instinct, un peu comme un lion en chasse !" dit-il avec un sourire laissant apparaître ses dents blanches.

"Mais j’aime pas ne pas connaître mon adversaire ! On ne sait rien d’eux et ils pourraient justement avoir un jeu bizarre qui nous surprenne. On ne sait pas non plus s’ils ont des éléments dont on devrait se méfier… entre le soccer et leur rugby ils ont peut-être un excellent jeu au pied ou de très bon coureurs… C’est peut-être parce que je suis pas dans l’ambiance de la secte que je me pose toutes ces questions…"

James but une rasade, l’air pensif. Comme il l’avait dit, il n’était pas dans l’euphorie de la discussion des autres membres de l’équipe, et outre son humeur plutôt maussade ainsi que sa légère paranoïa, il se mettait à cogiter sur cette affaire.

Claquant son verre sur la table, il ajouta en souriant :
"On va quand même les bouffer ! Et j’espère bien t’avoir à côté de moi sur le terrain pour participer au festin !"

Billy n'avait pas l'air de réussir à se motiver avec les conseils de James. Il ne touchait d'ailleurs à sa bière que du bout des lèvres, semblant préoccupé ou soucieux. La beuverie se termina par l'évacuation manu-militari du reste de l'équipe par le tenancier du bar. Ceux-là, sévèrement éméchés, commençaient à se comporter de façon indécente. Non que le patron n'était pas habitué...

Le reste de la journée était comme dans un rêve cotonneux. Ce n'était qu'un match de gala contre une équipe probablement très débutante, et pourtant, il y avait un trac comme si c'était un match de finale...

Toujours est-il que, le lendemain, en arrivant aux vestiaires, James put croiser les fameuses mimolettes : une bande de gaillards au teint pâle et aux cheveux paille. Et la plus vaste collection d'yeux bleus qu'il avait jamais vu.

Coté équipe locale, l'ambiance semblait habituelle, mis à part que le coach s'était habillé comme un pingouin, avec un costume suranné qu'il ne devait probablement pas sortir souvent, jurant de façon excessive avec sa casquette de l'équipe, et son éternel sifflet appuyé sur une cravate mal nouée. Il semblait dans tous ses états...

"Les gars, va falloir assurer !", haranguait-il l'équipe. "L'ambassadeur Européen est ici, ainsi que la Sénatrice Chao des États-Unis. On joue devant du beau linge, je compte sur vous pour leur en mettre plein les mirettes !"

Sur le terrain, les pom-pom girls et les mascottes faisaient leurs habituelles numéros. Une tribune d'honneur avec des drapeaux avait été installée et sécurisée. On pouvait y apercevoir une série de messieurs en costumes et de dames en beaux habits.

James assista au premier quart-temps sur le banc. Son équipe était attaquante, et infligea une véritable leçon aux hollandais qui avaient du mal à contrer les stratégies américaines de façon rapide et efficace. Résultat, en quinze minutes, trois touchdown.
Perte d'attention ou fatigue, mais le deuxième quart-temps vit un renversement de tendance assez critique... Tout le talent offensif de l'équipe avait, semblait-il, disparu : le quarterback ratait toutes ses passes, les receveurs laissaient tomber des ballons, tout le monde semblait courir moins vite, fautes et pénalités s'accumulaient...

La mi-temps sonna, et les hollandais étaient revenus au score, dominant les locaux d'une courte tête. Sur le banc, l'équipe de défense était essouflée et vaguement hagarde, probablement suite à la déculottée qu'elle venait de se voir infliger, mais peut-être même un peu trop ? En tout cas, l'entraîneur était très remonté.

"Les gars ! Ce n'est pas parce qu'ils étaient nuls en premier quart qu'il faut les laisser gagner par la suite !", et tout un discours sur l'honneur de l'équipe et de l'Université. L'entraîneur jeta un coup d'oeil de travers à James, et l'envoya sur le terrain, middle linebacker dès le premier remplacement suivant l'envoi, qui voyait les hollandais toujours aussi offensifs. L'équipe adverse, bien que rationnellement beaucoup moins expérimentée, affichait dans sa ligne offensive une puissante détermination, et ne semblait (comble de l'horreur) pas si fatiguée que cela ! Le quarterback récupéra la balle, et se lança dans une course effrénée. C'était un bon athlète.

James était remonté. Non pas que l’ambiance avait changé, en fait il s’en fichait à présent, car ce qui importait c’était de gagner. Point !
Il faisait partie de l’équipe défensive et observa le jeu adverse. Tout semblait se passer comme prévu, c’était loin d’être des adversaires dangereux, sauf que… quelque chose finit par ne plus tourner rond, comme si la bière de la veille était en train de se venger. Non plus sérieusement, il y avait un truc louche, c’était quand même bizarre de voir un retournement de situation comme ça.

Mais pas le temps de se poser des questions métaphysiques sur le houblon, c’était l’heure de l’action ! Et il allait y en avoir ! Il fallait leur montrer à qui ils avaient affaire ces européens ! James était remonté à bloc et prêt à en découdre. Il était concentré, en forme et même plus décidé que jamais à montrer de quoi il était capable.

Il prit place sur le terrain et jaugea l’équipe adverse, essayant de voir quels pouvaient être les éléments dangereux de cette équipe offensive hollandaise. Au moment du coup d’envoi, James était à la meilleure place pour suivre l’action et vit tout de suite lorsque le quarterback ne lança pas la balle mais qu’il se mit à courir. C’était donc lui la cible.

L’Homme est capable d’évaluer la vitesse d’un objet en le regardant, c’était ce qui permettait aux attaquants de savoir à quel instant ils devaient déclencher leur feinte ou tout autre mouvement leur permettant d’éviter de se faire plaquer par la brute lancée à leur poursuite. C’est là où James n’était pas une brute ordinaire mais LA brute à craindre, car 2-3 mètres avant l’impact présumé avec le porteur du ballon il fournissait une accélération supplémentaire qui perturbait sa malheureuse victime.

Evaluant la trajectoire du quarterback, James se lança tel un missile pour une interception comme il savait les faire, prêt à déclencher son accélération au moment opportun et à briser l'espoir de son adversaire de gagner du terrain.

Les choses se passèrent exactement comme James l'avait prévu. Le quarterback adverse n'était pas spécialement mauvais, mais pas spécialement brillant non plus. Il fit quelques changements de trajectoire hasardeux, mais fut finalement plaqué, ne gagnant qu'assez peu de terrain. Les équipes se remirent alors en place, pour la seconde tentative offensive des hollandais.

De l'expérience de James, tout semblait bien parti pour se dérouler comme précédemment, avec une course du quarterback, et ce fut effectivement le cas. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l'équipe hollandaise donnait maintenant l'impression de piétiner.

La troisième tentative se mettait en place exactement comme la précédente, avec la même stratégie, à croire que cela devenait un gimmick, ou que les hollandais étaient adeptes des coups de bélier... Mais cette fois-ci, James se sentait fatigué. Pris de légers vertiges et de nausées, sa tête lui tournait, il voyait partiellement flou, et il se sentait engourdi alors que le quarterback adverse démarrait à nouveau sa course.

Comme sur des roulettes !

Ils étaient loin d’être des as, le quarterback se lançait dans une course à chaque fois mais on se demandait vraiment pourquoi il ne laissait pas faire un équipier plus doué pour la course ! Ou pourquoi il ne tentait pas une passe ?! C’était plutôt une manœuvre de surprise qu’une tactique assurée de succès, surtout quand il était attendu au tournant comme c’était maintenant le cas. C’était vraiment des amateurs ! Comment pouvait-on être mené par une telle équipe ?

Et le pire c’est que c’était bien parti pour une troisième tentative !
James eut un petit sourire en coin en y pensant. C’était vraiment trop facile de gagner s’ils tentaient d’ouvrir les portes en fonçant tête la première dedans. Et c’est là qu’il commença à se sentir mal.

*Arg… qu’est-ce que j’ai d’un coup ? J’ai pourtant pas pris de mauvais coup pendant mes plaquages ! J’étais en pleine forme ya pas 2 secondes !... J’ai rien mangé de spécial… P%tin chui aussi mal que… que les autres gars ?!...*

James était en mode paranoïaque depuis la veille et son entrainement suivit du bar. Aussi l’une des premières idées fut *Qu’est-ce qu’on m’a fait ?*. Il passa en revue les solutions, la bière d’hier, quelqu’un aurait-il mis quelque chose dedans ? Auquel cas l’un des suspects pouvait être Billy, ou quelqu’un du bar… et là une idée un peu folle lui traversa l’esprit : un mutant ?! Est-ce que ça ne pouvait pas être un truc genre un télépathe ? Il se disait qu’ils pouvaient lire dans les pensées ou vous rendre malade en vous secouant les méninges…

Ces réflexions passèrent à la vitesse de l’éclair pour être remplacées par une seule idée : Secoues-toi James !
L’idée que quelqu’un puisse user de triche pour faire perdre son équipe mit James en rage. Il avait plus que jamais envie de pulvériser l’équipe hollandaise et de ne leur laisser que l’amer goût de la défaite. Quitte à passer pour un idiot auprès de lui-même, James hurla dans son esprit *DEGAGES DE MA TÊTE SÂLE C%N !!* et fonça vers le quarterback ennemi de toutes ses forces, puisant dans tout ce qu’il avait de volonté pour pallier à son état dégradé, se concentrant sur son sens du toucher et ses bras puissants écartés plus largement que d’habitude pour attraper son adversaire malgré tout ou à défaut le bousculer suffisamment pour qu’un de ses équipier achève de le plaquer.

Paranoïa ou non, il en aurait le cœur net tôt ou tard !

Ça ne marchait pas ! James faisait ce qu'il pouvait, mais il se sentait trop pataud, étourdi et engourdi. Le quarterback lui fila entre les doigts, et finit sa course comme prévu, offrant à son équipe un nouveau touchdown facilement transformé.

L'équipe locale passa donc en mode offensif, et James put rejoindre le banc, croisant au passage Billy qui allait prendre son poste de halfback. Sur le banc, les coéquipiers linebackers de James étaient tous dans le même état que lui : essoufflés et hagards. L'entraîneur, non loin de là, fulminait, mais il apparaissait de plus en plus nettement dans son attitude que la situation lui échappait. Il avait sans doute tablé sur un match trop facile et avait baissé la pression ? Ou bien peut-être constatait-il que son équipe ne fournissait pas une performance normale.

Des vivas dans le public sortirent James de ces réflexions, alors que l'équipe locale entamait une action offensive. Le middle linebacker hollandais avait l'air d'être un bon élément, très réactif et puissant. Le quarterback local avait engagé une passe à Billy qui s'était élancé sous les acclamations du public. Le petit avait sans doute encore pas mal à apprendre, mais il avait manifestement l'envie d'en remontrer ! Sauf que le middle linebacker avait bien envie d'y mettre son grain de sel.

Néanmoins, de façon totalement surprenante, celui-ci s'effondra au sol alors qu'il s'apprêtait à plaquer Billy, comme s'il avait trébuché sur quelque obstacle au sol. Le retard des deux autres défenseurs était trop important, ce qui permit à Billy de regagner du terrain et de finalement aller au touchdown.

La phase offensive suivante se déroula de façon analogue : l'équipe déployait ses stratégies habituelles, et les défenseurs tentant d'effectuer des interceptions se cassaient la figure en courant, à croire qu'ils avaient mal noué leurs lacets... Et ce fut naturellement un nouveau touchdown, et la fin du 3e quart-temps...

Rien à faire ! Et il ne pouvait même pas compter sur ses équipiers qui n’étaient pas dans un meilleur état que lui. C’est donc l’air grave que James retourna sur le banc, secouant la tête dans l’espoir de chasser son mal et de recouvrer ses esprits, en vain bien entendu.

Mais le linebacker n’était pas du genre à abandonner si facilement, il se sentait en grande forme jusqu’à son arrivée sur le terrain et pendant les deux premières offensives adverses, et son mal était arrivé trop soudainement, aucun signe avant-coureur, et James n’avait pas fait d’excès avant le match qui pourrait expliquer ça.

James comptait parler au coach, lui dire que ce n’était pas possible et qu’il y avait sûrement de la triche là-dessous quand les vivas retentirent. James chercha du regard la cause de ces cris quand il vit Billy en attaque. Le linebacker eut un sourire, il fallait foncer et aller chercher la victoire, il félicita Billy pour cette action et suivit le déroulement quand il tiqua sur la chute du défenseur.

D’accords, ils n’étaient pas franchement excellents les hollandais, mais là c’était vraiment la guigne. Cependant, ce qui n’était qu’une vague et plutôt bonne surprise la première fois fit froncer les sourcils de James lorsqu’elle se répéta. Encore un autre revirement de situation avec des joueurs qui se comportaient bizarrement, mais cette fois c’était au tour des hollandais.

Si quelqu’un était derrière ça, à qui cela pouvait-il servir de faire gagner les locaux, puis les visiteurs, avant de voir la remontée des locaux grâce à… Billy ?!

James se savait un peu à cran depuis la veille, mais là c’était franchement limite, Billy avait semblé sympa, il lui avait ramené une bière et avait discuté avec lui sans prêter attention à ses histoires de se transformer en taser… d’ailleurs il avait semblé ouvert à ce sujet…

Billy, le bleu soudainement devenu héro de l’équipe, celui qui permettrait de renverser la tendance, de sauver l’honneur de l’équipe… Billy l’inconnu devenu héro…

C’était plus que louche !
Il devrait en avoir le cœur net !
Pour le moment, l’important était de gagner ce match, même si la victoire aurait un goût de rance…

Le regard de James avait changé, il suivait Billy des yeux, non pas pour suivre ses exploits mais pour tenter de remarquer quelque chose de bizarre dans son comportement, tout ce qui pourrait traduire le fait qu’il était à l’origine de ce foutoir, que ce soit un regard appuyé vers un joueur qui se sentirait ensuite souffrant, ou n’importe quel "abracadabra" avec les mains.


A la fin du 3e quart-temps, James attendait que Billy revienne vers le banc pour lui glisser un mot entre 4 yeux, lui dire en face ses doutes et voir la réaction de son pote, du style "Billy, je sais pas ce que tu fais mais arrête, c'est pas en trichant qu'on devient un héro !" en espérant ne pas se tromper...

Billy ne passa pas trop de temps sur le banc, mais le peu qu'il revint, il fut acclamé chaleureusement par les autres attaquants, à grands coups sur son casque, et par l'entraîneur, à grands renforts d'exclamations bruyantes et de moulins de bras. Là-dessus, l'intervention de James arriva comme une douche froide.

"T'es gonflé de dire ça ! Surtout après ce que tu as fait ! Et maintenant tu viens accuser tout le monde d'être mutant et de tricher !", l'invectiva l'un des piliers de la ligne offensive, le prenant à parti physiquement, assisté de ses collègues. L'altercation fut rapidement interrompue par l'entraîneur qui grogna

"Ça suffit les conneries maintenant ! Y'a rien qui tourne rond dans ce putain de match, mais on va quand même le gagner. Et pour ça, faut que vous soyez soudés ! Alors pas d'embrouilles ! James, tu restes sur le banc. Et toi aussi Drew !", punit-il le pilier au sentimentalisme un peu trop chatouilleux. Billy, lui, s'était bien gardé de dire quoi que ce soit, et s'en retournait à son poste, son casque dissimulant l'état réel de son humeur.

Le dernier quart-temps, bizarrement, se déroula de façon normale... Toute l'énergie des locaux était revenue, et les hollandais ne se cassaient plus la figure, si bien que la victoire revint aux locaux. Pas très large, mais significative quand même. Il sembla alors qu'un ouf de soulagement retentissait dans tout le stade...

"Bon... Tout le monde a la douche, vous vous changez, et ensuite on...", il fut interrompu par l'arrivée d'une personne en costume, un politicien.

"Excusez-moi... Son excellence Angevin et Madame la Sénatrice Chao vous font savoir que vous êtes cordialement invités au vin d'honneur qui sera donné sur la pelouse du stade dans une heure et demi, dès que tout aura été mis en place... Bonne journée à vous."

L'entraîneur bougonna finalement une sorte d'approbation...


Deux heures plus tard, le stade avait complètement changé d'allure. De grands draps blancs avaient été tendus en l'air pour faire un peu d'ombre, et un buffet garni d'une kyrielle de réductions salées avait été installé. L'équipe hollandaise était là, souriante et enjouée. Il y avait aussi le président de l'Université, quelques professeurs, d'autres officiels... Et ce qui était, à en juger par la couleur des cheveux, une délégation hollandaise.

Malgré la tension qui avait monté d’un cran, James ne regardait que Billy, il ne le quittait pas des yeux un seul instant. Alors qu’il s’était d’abord fait un plaisir de rejouer, le plaisir s’était dilué puis totalement effacé avec ce match "truqué", aussi la sentence de l’entraîneur ne lui fit ni chaud ni froid. C’est donc le regard dur qu’il suivit la fin du match, bizarrement de nouveau "normal".

Alors que James pensait que cette journée allait enfin se terminer, un officiel vint les inviter à un pot en fin de match. Super ! Une assemblée de politiciens se léchant les bottes, des faux sourires et autres mensonges ! Tout ce qu’il fallait pour terminer ce cauchemar en beauté ! Mais il fallait faire bonne figure, déjà qu’il ne s’était pas fait que des amis dans la journée…

Après une douche rapide, dans son coin pour ne pas faire plus de vagues, James mit son costume de circonstance et se rendit au vin d’honneur. Imaginez un ours en chemise cravate et vous aurez une idée de la silhouette d’un linebacker en tenue de gala. James n’était pas à l’aise, d’une part dans son costume et d’autre part suite à ce match d’une autre dimension. Il attendit dans un coin, balayant du regard sans vraiment chercher à attirer l’attention de quelqu’un… le pot de fleur, c’est ce qu’il essayait de faire, enfin là c’était plutôt l’armoire normande…

James faisait, semblait-il, bien la potiche, vu que pour l'instant, personne ne l'avait remarqué, mis à part un serveur qui faisait son office en proposant boissons et nourriture. Ses camarades d'équipe avaient investi une pompe à roteuse, et semblaient phagocyter tout ce qui passait à leur portée.

Un vague soupir d'ennui plus loin, un groupe de hollandais s'approcha de James. Il s'agissait de footballers, vu leur carrure, mais de toutes façons, James avait la sensation d'en reconnaître quelques uns, même si on était jamais vraiment sûrs, tant les physionomies changeaient avec les protections.

L'un d'entre eux lui adressa directement la parole.


"C'était un beau match n'est-ce pas ? Qu'en penses-tu ?"

James s’étonna d’être aussi doué pour le camouflage en société, il était totalement ignoré, ce qui n’allait pas franchement à l’encontre de ses souhaits de terminer sa journée tranquillement. Il prit le verre qu’on lui proposa et grignota un petit four là où ses "équipiers" s’étaient donnés pour rôle de nettoyer le buffet pour qu’il soit prêt à ranger sans passer par la case lavage.

C’est alors que les hollandais débarquèrent. Avec un sourire, James se demanda s’ils allaient le plaquer à les voir arriver en bande comme ça tels des joueurs de ligne. Il essaya bien de reconnaître quels rôles ils avaient dans leur équipe mais ce serait sûrement plus simple de leur demander directement.

Quand le joueur hollandais lui demanda son avis sur le match, James se dit qu’il vaudrait mieux enjoliver un peu son impression pour ne pas créer d’incident diplomatique, ou tout du moins d’essayer d’avoir un regard neutre, il répondit avec un sourire :

"Dommage qu’il y ait eu des hauts et des bas de chaque côté, je préfère quand tout le monde est au mieux de sa forme, c’est plus excitant. Mais c’était un beau match, c’était une bonne surprise de voir le niveau d’une équipe européenne. On est tellement habitué aux équipes de notre championnat qu’un peu de nouveauté fait toujours plaisir !"

Le linebacker tendit la main vers son interlocuteur puis les autres joueurs en lançant un simple "James Murray, middle LB 11" comme si cette désignation valait un peu comme le matricule d’un militaire. Faute de passer un bon moment avec ses équipiers, James se dit qu’il pourrait au moins passer le temps avec ses adversaires d’un jour…

"Ça alors ! On était nuls à ce point ?!", s'exclama son interlocuteur suite au commentaire sur le niveau des équipes européennes et les habitudes locales. La remarque avait toutefois une vocation humoristique, et il lui tendit la main en rigolant :

"Éric Angevin, en première ligne... Plutôt à gauche.", faisant preuve d'humour dans la description assez approximative de son poste, provoquant l'hilarité de ses coéquipiers, qui se présentèrent aussi. Pour l'essentiel, c'était de l'offensif, même si le quarterback qui s'était fait plaquer n'était pas là.

"Des hauts et des bas oui... On pense que c'est le décalage horaire qui a joué. L'équipe n'est pas arrivée depuis longtemps, alors forcément..."

James rit pour la première fois depuis la veille. La bonne humeur des hollandais lui avait retiré un bonne partie des nuages qui avait obscurci son ciel depuis le morne entraînement jusqu’au match surréaliste.

"Nul ?! Non loin de là mais ça manquait parfois de variété pour nous surprendre… j’aurais pu continuer à plaquer votre QB jusqu’au bout de la nuit à ce rythme !" répondit James en riant.

Tout en serrant la main, il eut un déclic en entendant le nom d’Angevin, cela lui rappelait l’un des noms qui avait été prononcé lors de l’invitation au vin d’honneur aux côtés de celui de la sénatrice. James fronça les sourcils l’espace d’un instant à cette pensée.

"Angevin… comme celui qui nous a invité à prendre ce verre ?" dit-il naïvement.

"Je sais pas chez vous mais ici le football c’est une vraie religion, ça fait partie de notre culture, par contre autant on a de quoi faire comme adversaires d’autres universités américaines, autant on voit rarement des équipes d’autres pays. Mais c’est chouette de pouvoir partager quelques bon plaquage pour fêter les relations internationales !" lança-t-il avec un clin d’œil à son interlocuteur.

James nota la tentative d’explication des "hauts et des bas", c’était bien s’il pensait que c’était dû au voyage, et on pouvait toujours dire que dans leur cas c’était la sortie au bar de la veille…

"Au moins le décalage horaire c’est une excuse valable ! Dans notre cas je dois avouer un peu honteusement que beaucoup d’entre nous ont fêté notre future victoire à l’avance autour de quelques litres de bière…" dit-il en pointant vaguement du verre ses comparses autour de la pompe à roteuse.