[Courtier Bozy Ramambazafy] Tea 4 2

Bozy s'était levée tôt ce matin là et avait décidé de sortir le grand jeu. Bien se maquiller, choisir les bonnes baskets, le bon jean et y mettre par dessus tout son blouson en cuir qui lui avait coûté deux semaines de loyer.

Aujourd'hui, il s'agissait d'un jour à marquer d'une pierre blanche. Aujourd'hui, c'était le premier jour d'une nouvelle carrière : celle de Bozy reporter titulaire !

Enfin, elle ne faisait que prendre - mentalement - de l'avance sur son poste à venir. Ce coup-ci, elle avait un truc à écrire. Un truc gros. Un truc que les gens liraient avec plaisir et intérêt. Un truc qui pourrait s'appeler :


Ou alors :


Le lieu de rendez-vous avait été fixé dans un petit troquet de Chinatown. Pour ce faire, elle avait appelé à la Fondation Ganymède et avait demandé à pouvoir interviewer quelqu'un de là bas. Un attaché de presse ou un porte-parole. Peu lui importait. Tant que cela avait du muscle et que c'était du Ganymède.

Bien sur Bozy n'avait pas parlé de son autre qualité : c'était la journaliste qui voulait le rendez-vous, pas la mutante !

Et puis, un petit déjeuner avec un joli garçon qu'est ce que cela pouvait lui coûter ? Le type aurait certainement l'amabilité de régler l'addition...

Aussi quand elle fut devant le restaurant, elle retira ses écouteurs, poussa la porte et alla s'installer à une banquette. Attendant que son interlocuteur qu'elle ne connaissait pas encore arrive...

Après quelques instants d'attente, et alors que sa montre indiquait l'heure exacte du rendez-vous, l'invité surprise, reconnaissable entre mille, se présenta dans le fameux troquet.


Il se dirigea tout droit vers Bozy, et s'installa directement en face d'elle.

"Bonjour ! Je m'appelle James Johansson, la Fondation Ganymède m'a fait savoir que vous souhaitiez rencontrer quelqu'un de chez nous, alors me voilà..."

Et il se para d'un simple sourire, en attendant que fusent les questions.

Bozy sourit en voyant arriver l'homme... Ainsi, leur "porte-parole" était bel et bien un beau gosse. Elle le jaugea quelques instants du regard avant de faire un geste pour attirer l'attention d'un serveur.

"Enchantée, je m'appelle Bozy Ramambazafy mais je crois que vous pouvez vous contenter de m'appeler par mon prénom... Comme je suis vieille école, je vous laisse le soin de commander pour moi. Je prendrai ce que vous prendrez !"

Elle se recoiffa rapidement puis sortit un petit calepin de son sac à main. Son stylo entre les doigts, Bozy ajouta :

"J'imagine, M. Johansson, que vous avez déjà du répondre à tout un tas de questions... Personnellement, mon approche sera un peu différente. Je ne vous cache pas que je compte beaucoup sur cette entrevue..."

Nouveau sourire. Cette fois-ci un peu crispée. Bozy savait qu'elle ne devait pas foirer ce premier contact sous peine de devoir renoncer à ses rêves de gloire...

"J'aimerai... Enfin, si ça vous convient, que l'on parte un peu en discussion libre, vous voyez ? Histoire de voir où ça nous mène... Si ça fait un bon papier tant mieux, sinon j'aurai au moins passé un bon moment en votre compagnie..."

La journaliste en herbe écarta son calepin et posa son stylo. Puis, elle prit une grande inspiration avant de demander :

"Supposons que vous souhaitiez me recruter pour votre fondation... Comment cela se passerait-il ? Quelles questions vous me poseriez ? Enfin, peut-être ne recrutez-vous pas... Auquel cas, ce serait peut-être à moi d'essayer de me vendre et..."

... elle ne pouvait se départir du corps sublime de l'homme. Bozy aurait eu envie de le toucher mais ce n'était guère possible...

... elle espérait en tout cas qu'il ne puisse pas lire dans ses pensées !

James commanda deux thés noirs dont le nom avait des consonances assez exotiques, puis afficha un sourire vaguement gêné. Il regarda un instant ailleurs, distrait, puis répondit :

"Et bien si par hasard vous voulez contribuer à l'entente entre les humains et les mutants en mettant vos talents au service de cette belle cause, il vous faudrait vous présenter à la Fondation, et passer un petit entretien, où vous expliqueriez vos motivations et vos capacités, suite à quoi vous seriez enregistrée dans nos fichiers, et appelée quand des situations répondent à votre profil et vos disponibilités...

Donc ça peut représenter un long moment avant que vous n'ayez un boulot."

Il réalisa alors que sa conclusion pouvait revêtir une interprétation déplaisante pour Bozy, et s'empressa de compléter.

"Enfin... Je ne dis pas que vous êtes bonne à rien hein. Juste qu'il n'y a peut-être pas forcément beaucoup de situations où vous pouvez vous rendre utile...

D'un point de vue général..."

Maigre compensation. Il détourna alors rapidement le sujet.

"Mais nous ne recrutons que peu de cette façon là. Les candidatures spontanées sont rares. Généralement, ce sont des gens, qui connaissent des gens, qui connaissent des gens... Ou bien des qu'on a aidé qui aident à leur tour."

James était aimable mais direct. Et même si elle se sentait, présentement, un peu comme une gosse qu'on remettait à sa place, elle aimait plutôt ça. Bozy croisa les jambes et contempla un instant sa tasse de thé tout en soufflant dessus.

"OK, donc vous avez deux types de recrutement" formula-t-elle. "Les volontaires et les potes pour résumer... Ça me semble plutôt normal, à vrai dire, un groupe quel qu'il soit doit fonctionner - à mon sens - selon une certaine orientation. Pis j'imagine que ça permet de limiter les possibilités d'être infiltré par la police ou d'autres personnes du même acabit..."

La jeune femme baissa les yeux, toute absorbée qu'elle était par la contemplation de son thé. Elle jeta, l'air de rien.

"Mais c'est un peu léger, non, l'amitié entre les humains et les mutants ? Ça fait juste des vous des gens équilibrés mentalement, pas comme ces fous furieux d'ExistenZ ou de la Conf' Américaine... Ce serait quoi alors le truc, le petit plus, qui vous distingue de l'Institut ?"

Elle releva la tête et fit un large sourire à James.

"Et je conviens que je sais pas faire grand chose à part me fringuer, danser, faire de la gym et poser des questions nazes... Alors comment Ganymède pourrait m'aider ? Comment rentrer dans le réseau ?"

Maintenant, elle le voulait réellement son scoop. Elle la voulait aussi sa nuit avec James. Et elle voulait vraiment en savoir plus.

"Infiltrés ?" il eut l'air surpris par la remarque, puis afficha un air d'autosatisfaction. "Il y a pour être honnête assez peu de risques par rapport à ça..."

Il se garda bien de fournir toute explication ou précision quant à ce qu'il entendait par là, même s'il sembla clair à Bozy qu'il avait jeté un regard entendu à quelqu'un qui n'était pas là.

Finalement, la question des gens sains d'esprit, et des dingues, et de l'Institut.

"Des gens équilibrés mentalement oui... Disons que très souvent, vous avez une situation qui va à peu près bien, qui est équilibrée, et les gens s'en contentent en se disant que ce sera éternel. Sauf qu'il y a toujours des personnes pour se plaindre, chercher à prendre le pouvoir, ou causer du trouble. Par intérêt, ou même par plaisir d'ailleurs...

Ces gens là ont une chance de gagner si ceux qui étaient satisfaits de l'équilibre se taisent et se contentent de regarder. Je ne sais plus quel philosophe du XXe siècle a dit ça : ce n'est pas les mauvaises personnes qui détruiront le monde, mais ceux qui ne font rien. Donc nous à Ganymède, on agit. Non pas en agitant des drapeaux, mais simplement en nous contentant d'être équilibrés mentalement comme vous dites. Sans avoir la prétention de montrer l'exemple non plus, mais juste qu'il existe des gens qui ne se satisfont pas du terrorisme politique d'ExistenZ, ou du fascisme de la Confédération."

Il marqua un temps, et but quelques gorgées de thé, pour se rincer le gosier après cette tirade, mais probablement aussi pour réfléchir à ce qu'il allait dire ensuite, guettant une réaction de Bozy.

"Quant à notre différence avec l'Institut, elle est très simple : l'Institut est une école, et ne fournit aucun service hors de cela et son pensionnat. On peut fournir de l'aide pour les jeunes un peu paumés, mais on n'est pas un pensionnat avec cours à plein temps. Mais nous pouvons aussi agir dans bien d'autres situations. Nous sommes des mutants -et des humains- au service de la communauté, qui sommes quelque part plus efficaces, parce que plus entraînés, que les jeunes de l'Institut pour faire face à de nombreuses cas."

Il prit un bref instant pour jauger Bozy, puis répondit d'un ton plus ou moins désabusé. Combien voyait-il de jeunes désœuvrés ?

"Et bien... La Fondation peut aider à trouver des formations, un emploi ou un logement, aider à financer des études, faire un peu de coaching personnel, fournir du matériel... C'est généralement cela qu'on propose aux jeunes gens comme vous."

Bozy sursauta en voyant le regard entendu lancé dans le vide de son interlocuteur. Elle se crispa. Elle en garda même le silence.

Puis, laissant passer quelques instants, la jeune femme précisa :

"Ouais, le mal triomphe par l'inaction des gens de bien... C'est assez flippant d'ailleurs. Parce que bon, agir quand on est seule, c'est comme dans les transports en commun. Tout le monde voit le taré qui importune la vieille dame, l'insulte, l'agresse ou lui file des gnons... et tout le monde se regarde en se demandant quand est-ce que quelqu'un va enfin se décider à intervenir"

Elle fit une drôle de moue et plongea son regard dans les yeux du Ganymède.

"Au fond, c'est un esprit d'escalier perpétuel. On se retrouve, pour justifier de sa propre lâcheté, à se trouver plein d'excuses... ou à se contenter avec la pensée que comme on n'était pas d'accord, ça suffit..."

La jeune femme croisa les jambes. Elle demanda :

"N'empêche qu'il faut des types avec une moralité en béton pour diriger un réseau comme le votre. D'ailleurs, ça se passe comment vos prises de décision en matière d'orientation générale ? Les adhérents ont voix au chapitre ou vous avez un comité directeur qui règle tout ça ?"

Bozy se détendit et se cala en arrière, sur la banquette.

"Je vais pas aller par quatre chemins, en fait. Tout ce que vous me dites là m'intéresse. Je suis certainement pas la plus paumée ni la plus malheureuse mais j'aimerai voir tout cela de plus près... J'imagine que vous avez pléthore de journalistes dans votre escarcelle, mais peut-être que celle-ci est assez grande pour en accueillir une de plus, non ?"

James écoutait Bozy philosopher sur le bien et le mal en buvant son thé qui était à température. Ce n'est que finalement quand se posa la question des orientations qu'il s'interrompit, remettant à flot sa porcelaine.

"Orientation générale ? Comité directeur ? En voilà des bien grands mots qui fleurent bon la technocratie et l'inertie administrative. L'administration signe la mort de toute action. Ganymède a des objectifs : le respect entre les peuples, la bonne entente, le service... Mais au final, ce sont des lignes directrices très minimalistes, pour que chaque membre de Ganymède puisse faire ce qu'il estime être juste et rendre service. Ainsi, il n'y a pas vraiment de chef ou de mission, il n'y a que des gens qui se portent volontaire pour accomplir de bonnes actions."

Tout ceci sonnait terriblement idyllique. Peut-être le coté caricatural de la chose était-il voulu, mais il ne nuisait pas à la compréhension des principes de la Fondation.

"Donc d'une certaine façon, les adhérents ont voix au chapitre. Ils ont le droit de dire non. S'il n'y a personne pour faire, alors ce n'est pas fait. Nous ne sommes pas des employés. Il y en a, mais très peu. Ce sont ceux qui gèrent. Ceux qui agissent ont souvent d'autres métiers à coté. C'est pour cette raison que je dois vous dire que vous ne pourrez pas vous faire embaucher chez Ganymède comme journaliste. Pour la simple raison qu'on en a aucun. Moi-même, je ne suis pas attaché de presse, j'étais juste volontaire pour venir vous voir quand on a fait savoir qu'il fallait quelqu'un.

Mais après, on peut vous enregistrer, ou vous pouvez proposer spontanément des choses."

Il haussa les épaules.

"OK, pas de journalistes et à mort la technocratie..." lâcha Bozy en faisant un petit sourire timide. "En gros, ce que vous me racontez là, c'est que vous êtes une bande de copains qui essayent de rendre le monde un peu moins pourri au quotidien"

Elle se recoiffa à nouveau et enchaîna :

"Ça me plait bien. C'est un peu étrange comme fonctionnement et mystérieux pour ma part, mais ça me plait bien. Je vous cache pas que je voulais à la base en vous rencontrant voir deux trucs..."

Bozy sourit à nouveau. Elle était nerveuse.

"Je cherchais un scoop. Un truc d'intéressant à publier sur une organisation qui fait couler beaucoup d'encre et qui semble, par moment, un poil insaisissable. Mais aussi, voir comment donner un peu plus de sens à mon existence..."

La jeune femme marqua une pause. Est-ce que ce Johannson était digne de confiance ? Elle n'en savait trop rien, en fait... Sa mère lui avait appris mieux que ça que de croire quelqu'un sur sa simple bonne mine mais...

... il avait un corps de rêve. Bozy cligna des yeux.

"Je ne ferais pas de démonstration ici mais je peux réellement prendre mon pied. Enfin, je peux le mettre dans mon sac si je le veux. Vous comprenez ? L'expression jeter un œil, c'est pas du sens figuré pour moi... Mais, personne n'est au courant et..."

Elle fit tourner sa langue deux fois dans sa bouche avant de terminer sa phrase.

"J'aimerai de l'action discrète. Voyez ça comme de l'observation participative. Je veux en être, je veux en savoir plus... Je veux..."

Sa main glissa sur la table, cherchant celle de son interlocuteur.

"J'ai d'autres talents. Je veux un test. Ce rendez-vous n'était pas fortuit, vous me suivez ?" lança-t-elle avec toute la gouaille dont elle était capable.

Puis, elle se ravisa et termina :

"Mais peut-être que je suis trop franche et que j'écoute pas assez ?"

La jeune Bozy semblait finalement jouer carte sur table, et même avouer à demi-mots qu'elle était une mutante. Cela ne sembla pas perturber particulièrement James...

"Oui ben une mutante quoi...", conclut-il comme si c'était une chose aussi banale que de porter une chemise, ou préférer les sandales aux mocassins.

"Ganymède est insaisissable parce qu'elle est protéiforme. Certains s'imaginent un consortium militarisé, genre Institut Xavier, alors qu'en réalité, Ganymède est la synergie de toutes les personnes qui y adhèrent de près ou de loin... Les paranos disent l'hydre de Lerne. Les réalistes disent que c'est un genre de réseau collboratif. Peu importe, en réalité."

Il sembla un instant jauger Bozy, et réfléchir. Finalement, il sortit ce qui semblait être une carte de visite d'une poche de son pantalon, un stylo, et griffonna dessus.

"On a peut-être un petit travail qui exige discrétion et sens de l'observation... L'ancien Institut Xavier a été détruit il y a longtemps dans des circonstances troubles. L'ouverture d'un nouvel Institut, ainsi que certains autres éléments fait que la question des circonstances de l'explosion la dernière fois risquent de se poser dans un avenir assez proche..."

En gros, un reportage historique... Il lui tendit la carte de visite. Il y était écrit deux séries de chiffres, ainsi que ce qui ressemblait à une adresse net.

"Vous pourrez trouver de l'aide ou des infos ici, en cas de besoin."

Bozy eut un petit sourire en coin en voyant l'absence de réflexion de James quant à sa condition de mutante.

"Ouais, en fait, ça devrait être une simple variation statistique, tout simplement..." s'excusa-t-elle.

Elle examina la carte de visite attentivement avant de la ranger dans sa poche.

"Je me connecterais rapidement, je pense" lâcha Bozy d'une voix neutre. "Et je pense que vous m'avez fourni un bon sujet. Je ne sais pas nécessairement par où commencer. Je dois admettre que je n'ai jamais réfléchi à la question..."

La jeune mutante marqua une pause avant d'ajouter :

"Vous savez ce qu'est devenu le lieu de l'explosion ? Le quartier a été bouclé où on peut encore y accéder ?"

Elle avait un commencement de piste : peut-être y avait-il des riverains qui habitaient déjà le secteur au moment des faits ? Ce serait à creuser, oui... A creuser, attentivement.

"J'imagine que maintenant j'ai accès librement à la fondation. Si vous y retourner, je vous suit"

James sembla réfléchir un instant à la question du look du terrain.

"Je ne sais pas trop... Des grosses palissades avec un écriteau"No Trespassing" je suppose. Mais les voisins, s'il y en avait, doivent toujours être là. Le gouvernement a exproprié une fois en claquant des doigts, ça a eu du mal à passer, alors d'autres personnes..."

La conversation semblait terminée, et James se leva.

"Je ne retourne pas à la Fondation non, juste sur mon lieu de travail. Si vous n'avez plus besoin de moi, c'était un plaisir..."

Bozy opina silencieusement du chef puis se leva en même temps que James. Elle lui fit un grand sourire et lui serra la main :

"En tout cas je vous remercie pour votre disponibilité. Je crois que maintenant c'est à moi de faire mes preuves"

Elle sortit son porte-monnaie et régla l'addition en prenant soin d'y ajouter le pourboire réglementaire.

"On aura l'occasion de se revoir, je pense. Pour l'heure..."

La jeune mutante tripotait son smartphone.

"Pour l'heure, j'ai de petites recherches à faire"

Ayant pris congé de James, la jeune femme quitta l'établissement, tout en cherchant à se connecter à l'adresse web remise par l'agent de Ganymède.

Saut temporel