[Courtier Ava Parker] New-York / Une soirée trop arrosée (suite)

*Putain de bordel de merde* pesta intérieurement Ava lorsque les portes s'ouvrirent - enfin - sur le dernier étage.

A cet instant, la jeune femme aurait donné tout ce qu'elle possédait - c'est à dire pas grand chose - pour se barrer de là et rentrer chez elle. Sans nul doute, elle aurait mieux fait de ne pas répondre à cette petite annonce ou de fuir en courant lorsqu'elle avait reconnu Matress. Mais elle ne l'avait pas fait et se retrouvait à présent dans une merde noire jusqu'au cou parce qu'elle avait besoin de thunes et avait accepté le premier boulot qui lui tombait sous la main. Peut-être aurait-elle mieux fait de continuer à chercher plutôt que de répondre à cette annonce-ci.

Ava secoua la tête à cette pensée alors qu'elle se fit pousser violemment hors de l'ascenseur par l'une des deux frangines. Elle se retrouva dans une salle vide, meublée en tout et pour tout d'un écran géant. Elle y retrouva la garce blonde, qu'en cet instant, elle n'avait pas envie d'appeler autrement. Bien entendu, les deux gardes chiourmes les avaient suivis, Crept, Matress et elle. Depuis l'écran, une voix ne tarda pas à retentir, les traitant de chiens. Ava vit rouge. Pour un peu, on aurait pu voir de la fumée sortir de ses oreilles, comme on le voit dans les dessins animés.

"Pour ma part, j'me considère pas comme une sale chienne, alors m'app'lez pas comme ça. Ensuite, je s'rais pas là si la blondasse, là, avait pas piqué un truc qui a failli m'tuer. J'veux juste récupérer la clé USB qu'elle a piqué, et après, vous pouvez viv' vot' vie tous comme vous l'entendez."

Elle avait parlé d'une voix pleine de colère, sans pour autant hausser le timbre. Elle n'avait aucune envie d'être ici, aurait volontiers troqué sa place contre n'importe qui d'autre, même contre le clochard du coin. Lui, au moins, il ne risquait pas de passer un sale quart d'heure.

"Et vous? V'z'êtes qui? Z'êtes bien à l'abri devant une caméra, vous vous mouillez pas..."

La blondasse ne réagit pas. Elle vacillait de plus en plus, comme si elle était au bout du rouleau.

Quant à Sally et Molly, si elles se tenaient sur leurs gardes, surveillant tout particulièrement Mattress et Crept, elles ne mouftèrent pas quand la voix de M. March retentit dans la salle.

"Silence, femelle !" hurla le type. "Ton existence n'a aucune valeur à mes yeux comme celles de tes amis. Vous n'êtes que de pauvres créatures dont je veux pouvoir user et abuser à ma guise ! Le contenu de cette clé USB m'a déjà été transféré et toute copie a été détruite !"

Lova Love sourit timidement à l'homme à l'écran qui claqua des doigts. Aussitôt, la fille au béret se rua sur la blonde et lui brisa le cou à mains nus.

L'homme commenta :

"Votre vie ne tient qu'à un fil ténu... Celui de votre utilité. Et tel César, je condamne et je gracie à ma guise"

Il leva un pouce au ciel... puis l'abaissa.

C'était un signe pour Sally et Molly. Elles allaient les attaquer dans la seconde.

Ce type l'horripilait au plus haut point. S'il s'était tenu face à elle, Ava l'aurait volontiers étranglé à mains nues. Enfin... Façon de parler, car lorsqu'elle vit la fille au béret briser le cou de Lova Love, la jolie brune à la peau claire pâlit plus encore. Ses yeux couleur glacier exprimèrent la peur. Allait-elle sortir de là vivante? Elle en doutait de plus en plus. D'autant que March se prenait littéralement pour Dieu. Qu'était-elle venue faire dans cette galère? C'était une bonne question. Ava recula d'un pas, mais pas plus. Crept et Matress semblait ne pas vouloir bouger, alors que c'étaient eux les deux types d'expérience. Que foutaient-ils donc? Etaient-ils à ce point déconnectés de la réalité? Etait-ce sa propre faute parce qu'elle avait essayé de calmer tout le monde?

Oui, Ava avait peur. Une peur presque panique pour sa vie, une peur qu'elle ne voulait même pas retenir. Si sa peur pouvait paralyser les deux géantes, tant mieux. Si elle pouvait donner des ailes à Matress et à Crept pour agir, ce serait encore mieux. Mais elle était même incapable de parler. Incapable d'exhorter les deux hommes à intervenir. A nouveau, elle fit un pas en arrière, mettant les deux hommes entre elle et les deux filles, incapable de détourner son regard de ces deux là.

Pourtant, elle se força à chercher une issue du regard, essayant de tourner la tête du moins possible pour ne plus attirer l'attention sur elle. Elle avait peur, et elle émettait à tout va, espérant qu'au moins, ça lui servirait à quelque chose...

Se retournant, Ava s'aperçut que l'ascenseur était bloqué... Et en matière d'issue, la pièce n'en fournissait que bien peu : seules les fenêtres pourraient éventuellement servir de sorties, pour peu que la mutante puisse survivre à la chute !

Sally se rua sur Crept qui esquiva un coup de poing qui alla péter une cloison. Quant à Mattress, il dégaina son pistolet avant que Molly ne soit sur lui. Voyant l'arme, la jeune femme saisit le poignet du grossier détective et le retourna dans un craquement sinistre.

Crept, sous le coup de la douleur, hurla un abominable juron et lâcha son pistolet qui alla s'échouer au sol.

M. March éructa :

"Très bien, petites créatures, très bien... Faites les souffrir ! Et souffrez et mourrez avec eux !"

Et il partit dans un rire sinistre, au moment où les bouches d'aération commencèrent à diffuser dans la pièce une espèce de gaz verdâtre...

Les choses dégénéraient de plus en plus. Il sembla à Ava que son empathie n'avait aucun effet sur les protagonistes et, de toute façon, il n'y avait aucune autre issue qu'un ascenseur bloqué. Et, à présent, un gaz verdâtre envahissait la pièce par les bouches d'aération. Mais non! Elle ne voulait pas mourir. Pas comme ça. March voulait quelque chose d'utile? Peut-être pourrait-elle lui donner quelque chose d'utile. Elle pouvait toujours essayer, non? Honnêtement, elle doutait que révéler ce qu'elle était pourrait être utile pour lui sauver la vie. Mais savait-on jamais? Elle n'avait pas d'autre choix, de toute façon...

"Attendez! J'peux p't-être vous être utile. J'suis une mutante!"

Elle avait, presque, crié ces derniers mots avec la rage du désespoir. Elle voulait vivre. Elle l'avait crié, et, en même temps, elle s'était concentrée de toutes ses forces pour transmettre la rage de vivre aux protagonistes de la scène et forcer une des deux filles à aller déverrouiller l'ascenseur. Elle voulait vivre. Pas mourir et les fenêtres étaient beaucoup trop hautes pour pouvoir sauter et s'en sortir vivante. Une chose était sûre et certaine, elle n'était pas faite pour être détective privée karmique...

Il n'y avait eu nul besoin des pouvoirs d'Ava pour que les détectives et les créatures de March recouvrent la force de vivre. Si Mattress se tordait toujours au sol de douleur, son acolyte tentait frénétiquement de tambouriner à tous les murs afin de découvrir un éventuel compartiment caché... En vain !

L'intervention d'Ava fut ignorée par ses compagnons d'infortune. Quant à March, il lança, hilare :

"Rectification, petite femelle... Vous étiez une mutante !"

Sally et Molly essayèrent en premier lieu de se ruer vers l'ascenseur. Mais là aussi, en dépit de leur force qui leur permirent d'arracher la porte et de se retrouver devant une cage vide et vertigineuse, c'était un autre coup d'épée dans l'eau.

Et pendant ce temps là, March se délectait de la scène, au fur et à mesure que le gaz continuait à emplir la pièce. C'était irrespirable. Oui, c'était sur... Ils allaient mourir.

Et puis... Crept eut une idée. Il se pencha au sol, toussant et cherchant à tâtons un objet... L'arme de Mike.

Il se redressa et attrapa Ava par l'épaule.

"Viens petite..."

Crept fit feu sur une vitre qui explosa en mille morceaux. Avec la crosse de l'arme, il débarrassa l'encadrement de la fenêtre des bris de verre puis regarda une dernière fois Ava.

"J'espère que vous êtes souple. J'espère que vous êtes chanceuse. Et j'espère que vous avez 9 vies. Au revoir, vous me rappeliez ma femme..."

Et il la poussa par la fenêtre...

... dans une chute longue...

... et vertigineuse...

... qui se termina dans une benne à ordure quelques étages plus bas.

Etait-elle blessée ? Paralysée ? La jeune femme n'en savait trop rien. Quoiqu'il en fut, elle perdit connaissance...


Elle se réveilla alors qu'il faisait jour. Il n'y avait personne de penché sur elle et elle n'était pas morte. Elle était dans un container à ordure. Tentant de bouger les membres, elle s'aperçut qu'elle devait avoir plusieurs côtes de cassé et certainement un truc au bras. Elle était couverte d'ecchymoses, sale et visiblement les clochards du coin l'avaient dépouillée de tous ses objets de valeur... dont ses belles santiags.

Et nulle trace de Crept, Mattress ou des deux filles. D'ailleurs, de ce qu'elle pouvait voir des fenêtres de l'immeuble du dojo tout était fermé. Comme si le bâtiment avait été abandonné en hâte...

Etiez? Etiez? Qu'est-ce qu'il voulait dire par là? Ava marqua un temps d'arrêt, incapable de réfléchir davantage. Sans l'intervention de Crept, elle aurait sans nul doute péri avec eux. Elle ne réalisa ce qu'il avait fait qu'en chutant dans le vide. Elle hurla pendant sa chute qui se termina dans une benne à ordure où elle perdit connaissance.

A son réveil, Ava ne savait plus si elle était morte, ou vivante. Il faisait jour, elle était seule, elle était sale, elle avait mal partout. Cela voulait-il dire qu'elle était vivante? Sans nul doute. Mais dans quel état? Elle tenta de bouger et y parvint en gémissant de douleur. Ses côtes, son bras lui faisaient un mal de chien. Elle leva la tête vers l'immeuble. Tout était fermé. Avait-elle donc rêvé tout ce qu'il s'était passé la veille? S'étaient-ils enfuis? Ce n'était pas le moment de réfléchir à tout ça, c'était une certitude.

Tant bien que mal, la jeune femme sortit de la benne à ordure, pieds nus. Pieds nus? Grimaçant de douleur, elle se fit les poches pour vérifier si elle avait encore son porte feuille et ses papiers, et ses clés d'appartement. De toute façon, tout ce qu'elle pouvait faire, c'était tenter de gagner l'hôpital le plus proche pour se faire soigner. Et ensuite? Elle n'en avait pas la moindre idée. Advienne que pourra...

Ryan, quant à lui, avait réglé ses comptes à Seattle, afin d'être un peu plus tranquille pour faire les recherches de son mystérieux professeur. Une enseigne, et éviter l'école des bouffons. Comme indices, c'était plutôt maigre. Mais la ville de New-York était une certitude. Peut-être une des seules d'ailleurs.

Sortant de la gare, il put jeter un regard à la grosse pomme. Où avait-il atterri ? À New-York, c'était une première certitude. Mais dans quelle galère, c'était une question peut-être plus pertinente, essentiellement parce que la réponse lui échappait encore pour l'instant. Autant chercher une aiguille dans une meule de foin.

Il apparut alors à Ryan que son destin était de tomber sur des femmes tombées du ciel. Sans même qu'il s'y attende vraiment, il entendit un cri, suivi d'un bruit de chute, dans une ruelle à proximité de là où il se trouvait.


Où avait atterri Ava ? Dans une poubelle, c'était une première certitude. Mais dans quelle galère, ça, c'était une question peut-être plus pertinente, essentiellement parce que la réponse lui échappait encore pour l'instant. D'ailleurs, cette histoire de bâtiment qui avait changé était perturbante. Même si elle avait une idée plus claire d'où elle se trouvait en prenant le temps d'un peu regarder aux alentours : vu le profil, c'était toujours New-York, et vu les bruits ambiants, ainsi qu'un panneau indicateur non loin de là, elle était près d'une gare de monorail.

L'ennui, c'est qu'elle n'avait plus rien sur elle. Mis à part ses vêtements bien sûr, ni clés, ni papiers, ni argent...

Ryan n'avait toujours pas choisi entre l'audace et la folie, après sa décision de quitter Seattle pour venir fouiller New York City. D'un côté, l'occasion était trop belle pour la laisser passer, et depuis qu'il avait annoncé à son patron qu'il démissionnait, les analyses financières ne lui manquaient absolument pas. Il se rassurait en se disant que toutes ses qualifications ne s'étaient pas évaporées. S'il cherchait bien, il pourrait retrouver un job. Parce que, d'un autre côté, il devait trouver quelqu'un, ou quelque chose, dans l'ensemble de New York.

Le Hawaïen avait décidé de voyager léger, attendant d'avoir un pied à terre pour se faire transférer ses bagages. Il portait un T-Shirt blanc, un jean slim et une paire de mocassins en cuir, en plus d'une sacoche noire en bandoulière, contenant ses papiers d'identité, son portefeuille, son téléphone et les inévitables lunettes de soleil. Ryan avait tué le temps durant le voyage en écoutant de la musique calme qui l'avait aidé à trouver le sommeil.

Il sortit de la gare sans avoir la moindre idée sur la destination à prendre, et décida donc de laisser son instinct, ou le hasard, le guider. Compte tenu de sa soirée de la veille, il ne préférait pas tirer de plans sur la comète, tant son avenir pouvait changer en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Et lorsqu'il entendit un cri, il décida que c'était un point de départ intéressant.

*Advienne que pourra. Si c'est une blonde, je me méfie.*

Il trottina jusqu'à la ruelle, juste à temps pour voir une jeune femme sortir de ce qui était visiblement...et bien, un tas de déchets. Avoir entendu le bruit de chute changea son interprétation de la scène.

*C'est pas une fin de soirée difficile...*

Ryan accourut en direction de la malheureuse.

"Vous allez bien ? Rien de cassé ?"

Il leva les yeux vers le bâtiment qui jouxtait les bennes à ordure, essayant de comprendre ce qui avait pu se produire.

"Je dois dire que vous ne ressemblez pas à un oiseau. Les gens comme vous sont censés prendre l'ascenseur" ajouta-t-il en souriant. Elle n'était pas blonde, donc elle n'allait peut-être pas essayer de l'étrangler, même s'il fallait prendre des précautions. Cette jeune femme avait subi un choc, au propre c'était sûr, et sans doute au figuré vu ce qui venait de lui arriver. Difficile de prévoir sa réaction.

Vivante, mais avec la sensation d'être cassée de partout, vivante, mais sans ses clés pour rentrer chez elle. Le reste, elle s'en foutait, concrètement. Son téléphone, ses papiers, ça pouvait se racheter et se faire refaire. Mais des clés... Et ses chaussures, aussi. Elle y tenait. Elle les avait depuis super longtemps.

Ava serra les poings, un mouvement qui l'élança dans tout son bras. Grimaçante de douleur, elle tourna la tête en entendant une voix masculine s'adresser à elle.

"Ca s'voit, non?" répliqua-t-elle d'une voix un peu sèche s'il en était alors que le type reprenait sur son manque de grâce. Un manque de grâce qui lui fit froncer les sourcils.

"Vous aussi, si on vous balançait d'une fenêtre droit dans une poubelle et qu'vous vous réveilliez ailleurs après vous être fait voler vos affaires, vous manqueriez d'grâce..."

La jeune femme regarda autour d'elle, tachant de situer où elle se trouvait. New York? Apparemment, elle n'avait pas changé de ville. C'était déjà ça. Elle détailla le type des pieds à la tête, cherchant à connaître ses intentions du regard avant de changer d'avis. L'autre à l'écran lui avait dit qu'elle n'était plus mutante. Mais elle ne pouvait pas y croire. Ce n'était, juste, pas possible. Impossible. L'empathe se concentra donc pour déterminer quels étaient les sentiments de celui qui lui faisait face avant de reprendre:

"V'savez dans quel coin d'New York on s'trouve?" avant de marmonner plus pour elle-même qu'autre chose: "Au moins j'ai d'la chance dans mon malheur, c'pas un laid'ron, c'type... J'aurais pu tomber plus mal..."

"Ben, c'est-à-dire, je suis un touriste."

Comme à chaque fois qu'il était un peu gêné, Ryan se gratta brièvement l'arrière du crâne. Il aurait volontiers fait un topo à cette jeune femme - *à cette jolie jeune femme* - sauf qu'il était au moins aussi perdu qu'elle. Finalement, il laissa son occiput pour pointer du pouce la direction dont il provenait.

"Je sais juste qu'il y'a une gare par là. Je suis descendu du monorail y'a cinq minutes. Il doit y avoir des plans."

Un rien trop décontracté, le Hawaïen n'avait pas pris la peine de s'équiper d'une carte. Une erreur qu'il n'aurait jamais, jamais faite lors d'une randonnée. Mais pour visiter la civilisation, il s'était contenté d'apprendre vaguement la localisation des différents quartiers les uns par rapport aux autres.

"Mais qui c'est qui vous a jeté par la fenêtre ? Enfin...j'ai jamais entendu parler d'une coutume new-yorkaise comme ça. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?"

Il n'était pas dit que Ryan Balcasco laisserait une demoiselle dans le pétrin. Ce serait contraire à tous ses principes. Cela dit, après son expérience précédente, il avait décidé de la jouer sincèrement désintéressé. Il sentait encore comme une pointe de douleur dans sa nuque.

"Dites-moi si vous avez faim, ou soif. Histoire de vous remettre. C'est le moins que je puisse faire après ce qui vient de vous arriver !"

D'un signe de tête, il l'invita à prendre la direction de la gare. Il y aurait des snacks où se poser tranquillement, et qui feraient peu de cas d'une cliente pieds nus.

Un touriste? Dans cette ruelle? Ava fronça les sourcils avant de lâcher:

"Et qu'est-ce qu'un touriste vient faire dans c'te rue? T'es v'nu fait comme d'autres? Te servir? Tu veux quoi? La veste? L'pantalon? Voir c'qu'y d'sous, peut-être?"

Agressive? Ava? Non... Si peu. Sans nul doute en faisait-elle trop, sur le coup. Après tout, elle passait ses nerfs sur un innocent. Elle passait sa colère contre March sur ce pauvre garçon qui ne lui avait strictement rien fait. Absolument rien. S'en rendait-elle compte? Oui, sans nul doute. Mais pour l'heure, elle refusait de l'avouer. Au moins, si passer ses nerfs ne faisait pas passer la douleur, ça faisait au moins passer sa frustration.

L'empathe observa à nouveau le jeune homme tandis qu'il parlait de retourner vers le monorail et secoua la tête.

"Avec ma dégaine, 'vont m'prendre pour une clodo. C'que j'suis pas, qu'on soit bien clairs. J'me suis fait agresser, on va dire. En quelque sorte, c'est l'cas.

On m'a j'tée par la f'nêtre pour m'sauver. En quelque sorte. C'était ça ou mourir gazée. Celui qui m'a j'tée par la f'nêtre a pensé qu'c'était sans doute un moindre mal et ma meilleure chance. Il avait raison, j'suis encore en vie, j'crois. Parc'qu'avec c'te douleur dans mes côtes, j'doute que c'soit l'paradis... J'le vois pas comme ça..."

Pour le coup, on pouvait dire qu'Ava parlait beaucoup, sans dire grand chose de ce qui lui était arrivé. La mutante pouvait-elle faire confiance à celui qui lui faisait face, elle n'en avait pas la moindre idée. Une chose était sûre, son ton avait fini par s'adoucir. Elle finit, même, par éclater de rire lorsqu'il lui proposa de lui offrir à boire ou à manger. Le rire de la jeune femme n'avait rien de joyeux, et finit en une quinte de toux. Voir un toubib serait sans nul doute plus approprié.

"Boire ou manger, ch'ais pas, mais voir un doc', ça s'rait pas trop mal... Moi c'est Ava, au fait." acheva-t-elle en plongeant ses yeux couleur glacier dans ceux de son interlocuteur avant d'ajouter: "Tu viens foutre quoi, à New York?"

"Je sortais juste du monorail, et y'a quelqu'un qui a crié. C'est plus mon côté serviable que mon côté touriste qui a parlé."

*Ce doit être la semaine des mal lunées.*

Ryan ne se départit pas de son sourire, même s'il ne comprenait pas ce qui lui valait une telle manifestation de mauvaise humeur. Il n'avait pas l'air fauché au point de vouloir dévaliser quelqu'un, quand même ?

"Et jamais je n'oserais déshabiller une demoiselle sans son consentement. Je suis un gentleman."

Il voulut offrir une main serviable à la malheureuse, mais elle s'était déjà mise debout toute seule.

*Le timing, Ry, le timing...*

Cela dit, il ne put s'empêcher d'être surpris par les justifications de la chute dans les ordures. Une agression ? Être jetée par la fenêtre pour sauver une vie ? D'un coup, venir à New York semblait une idée beaucoup moins séduisante. Peut-être que les habitants ne comprenaient pas la loi de la gravité ?

"Gazée ? Genre comme faisaient les nazis ? Sans dec ?"

Et en prime, un hobby local d'un goût douteux. S'il n'avait pas été face à une charmante jeune femme, Ryan aurait laissé s'exprimer le dégoût qu'il ressentait. Et il aurait peut-être été illico chercher son billet retour pour l'ennui du Washington. Son vent, sa grisaille, sa vie sans dangers à l'exception des mutantes justicières qui passaient de temps en temps.

"Bon ben venez, on va trouver quelque chose. Vous pourrez m'expliquer tout ça entre deux frites", répondit Ryan en rendant son regard à l'aventurière. "Et c'est Ryan. Je viens à New York pour...trouver quelque chose."

Sa dernière mésaventure lorsqu'il avait évoqué sa nature à voix haute était trop fraîche pour qu'il la lâche à la première venue, aussi charmante soit-elle. Il lui fit signe de le suivre.

Ava haussa un sourcil. Un homme? Serviable? Mouais, ça devait sans doute exister. Mais elle préférait autant savoir qu'elle n'était pas une chose curieuse à voir pour un touriste. C'était déjà rassurant.

"Ok" répondit-elle simplement à la justification de Ryan.

Quant à la deuxième partie de sa justification, elle ne fut pas sans arracher un sourire à la jeune femme qui répondit simplement: "C'vrai qu'un accord pour ces choses-là assure de passer un bon moment..."

La main tendue pour qu'elle se relève tomba quelque peu à plat, il fallait le reconnaître. Même si elle avait mal partout, Ava pouvait encore se lever. Par contre, son sens de l'équilibre était encore en partie perturbé, aussi la jeune femme prit-elle malgré tout le bras tendu vers elle pour maintenir son précaire équilibre. C'était toujours ça de pris, si elle pouvait éviter de se ridiculiser plus encore.

"Sans dec. J'aimerais autant pas trop en parler. C't'un épisode qu'j'aim'rais autant zapper, si on peut dire."

Changer de sujet serait en effet une bonne idée la concernant. Elle ne fut, d'ailleurs, pas sans remarquer qu'il lui sortait du vous à chaque phrase, comme si elle était une vieille peau décrépie. "J'ai l'air d'une grand-mère ou quoi, pour qu'tu m'sortes du vous par-ci, du vous par-là?" ne put-elle s'empêcher de dire tout haut.

Elle lâcha Ryan lorsqu'elle se sentit à nouveau plus assurée sur ses jambes alors qu'il se présentait avant de lui faire signe de le suivre.

"Dis-moi toujours c'que c'est, j'peux p't-être t'aider, histoire de m'faire pardonner d'ma brutalité... Par contre, dès qu'on a mangé un bout, on va trouver un toubib, voir si j'ai un truc d'cassé."

De nouveau, elle marqua un temps de silence avant de reprendre:

"J'te propose un truc: on trouve un taxi, on passe par chez moi qu'j'puisse me changer, pi manger un bout, en théorie, j'ai une clé planquée sous le tapis d'vant ma porte, et on s'occupe de ce pourquoi t'es là. J'suis du coin..."

"Oula non ! Pas d'offense voulue. La dernière fille que j'ai tutoyée a essayé de m'étrangler. Mes manières lui convenaient pas, donc je me méfie", avoua Ryan avec une petite moue. Cette Ava ne devait pas être très éloignée de son âge, mais Hope ne l'était pas non plus, et...

*Non, elle sort de ton esprit. Hope, c'est juste une voix qui te dit de venir à New York. Pas de mésaventures, pas de menaces castratrices, pas de décolleté plongeant. Juste éviter l'Institut des bouffons. Point barre.*

Pour une femme tombée du dixième étage, la brunette semblait en très bonne santé, mais le Hawaïen ne pouvait qu'approuver le principe de précaution. Un seul corps, une seule vie, autant en prendre soin.

"Parlons d'autre chose. Parfait. Tu habites par où ? On sait jamais, peut-être que c'est un nom de quartier que j'ai lu dans un guide touristique."

Ryan avait une arrière-pensée. Petite conversation égale possibilité de glisser subrepticement des mentions aux mutants. Histoire de tâter le terrain, de savoir ce qu'on en pense par ici. S'il recevait le même accueil que dans la ruelle de Seattle, il avait déjà préparé son argumentaire contre ces dégénérés de porteurs du gène X.

Ceci, et on venait de l'inviter à visiter un appartement. Même son amour de certaines chaînes de fast-food ne pouvait résister à une telle proposition.

"Mais je suis à tes ordres. Comment refuser ?"

Souriant, il trottina jusqu'à la rue la plus proche et agita le bras en criant "Taxi !"

Puis il fit signe à Ava de le rejoindre, un des véhicules ayant aperçu ses gesticulations.

"Je préfèrerais un endroit calme pour discuter de la raison de ma présence. Pas de secret défense, c'est juste ma prudence naturelle qui parle."

...en plus du souvenir des tondus de Seattle.

Ava esquissa un sourire amusé lorsqu'il parla d'une mauvaise rencontre. Avait-elle à ce point l'air du grand méchant loup pour qu'il n'ose pas la tutoyer alors qu'elle-même l'avait fait très rapidement? Bah, qu'à celà ne tienne... La jeune femme haussa les épaules, un mouvement douloureux qui lui arracha une grimace. Et encore, ses muscles étaient chauds, pour l'heure. Qu'est-ce que cela donnerait dans quelques heures? Elle n'était pas certaine de vouloir le savoir.

A la question de l'endroit où elle habitait, elle secoua la tête avant de répondre: "J'en doute... C'pas un quartier très... Très... Touristique. Pas cher, ouais, mais touristique, sûr'ment pas. Et encore... C'est pas le plus crade de New York..."

La mutante regarda Ryan trottiner jusqu'au sortir de la rue pour appeler un taxi, et le rejoignit lentement, préférant ne pas trop tirer sur son corps meurtri. Et puis il fallait bien reconnaitre que la vue qu'elle avait n'était pas désagréable. Elle accélera tout de même l'allure lorsqu'il se tourna vers elle lorsqu'un taxi s'arrêta à leur hauteur. Après avoir donné son adresse, elle s'assit sur la banquette et sentit alors tout le poids de cette dure journée et de ses blessures pesersur elle, à croire que, jusque là, l'adrénaline seule l'avait tenue debout. La faiblesse aidant, Ava posa la tête sur l'épaule de Ryan pour puiser un réconfort dans un contact humain.

Enfin, le taxi s'arrêta devant un immeuble en brique, avec des escaliers de secours sur la façade. Elle ne put qu'être soulagée qu'il s'agisse d'un digicode et non pas d'un pass ou autre. C'était toujous ça de pris... Pour l'heure, elle devait presque se cramponner à Ryan pour rester debout. Fatigue et douleurs l'avaient rattrapée. Elle appela l'ascenseur, alors même qu'en temps normal elle grimpait toujours à pied, n'aimant guère s'enfermer dans cette boîte.

"T'as quelqu'chose contre les ascenseurs?" demanda-t-elle au jeune homme alors que la boîte métallique se rapprochait du rez-de-chaussée.

Le trajet en taxi se déroula agréablement pour Ryan. Ava semblait fatiguée, et profitait du confort offert par la banquette pour se remettre partiellement de ses émotions, en utilisant au passage son épaule comme oreiller.

*Un vrai gentleman se réjouit d'être d'un pareil secours.*

Le Hawaïen était quelque peu tiraillé entre, d'une part, la proximité avec cette demoiselle qui malgré les circonstances peu flatteuses à son égard était redoutablement charmante, et la pensée que tenter d'aller plus loin consisterait à profiter d'un état de faiblesse passager. Il décida donc de reporter sa décision au moment où la New-Yorkaise aurait repris des forces. Il se contenta de passer un bras autour de son épaule, profitant de l'occasion pour admirer son premier trajet dans les travées de la Grosse Pomme. Il avait visité énormément de lieux, mais sa liste comprenait essentiellement des lieux sauvages. Les itinéraires de trek partant de NY n'étaient pas réputés. Sydney, Christchurch, Genève, voilà des villes par lesquelles il avait transité avant d'aller se perdre dans des montagnes ou des déserts.

Il paya le cabbie, lui laissant au passage un pourboire pour le remercier de ne pas leur avoir pris la tête avec le mariage de sa soeur ou les derniers résultats de la NFL. Ava n'avait pas l'air très vaillante, ce qui valida implicitement la décision qu'il avait prise quelques temps auparavant. La décision de ne pas prendre de décision.

"Les sauvages de Hawaïens comme moi préfèrent escalader leur hutte. Je vais essayer de supporter le trajet. Rattrape-moi si je m'évanouis."

Il la gratifia d'un sourire qui se voulait encourageant. A sa place, il aimerait qu'on lui change les idées, et on lui avait expressément demandé de ne pas évoquer les évènements passés. Ryan guida Ava dans l'ascenseur en lui laissant le soin de presser le bouton de l'étage.

"C'est un bâtiment typique de New York ! Tu t'es déjà servie de l'escalier de façade ? Je sais pas, à cause d'un incendie, d'une inondation...d'un mec un peu trop insistant que tu voulais fuir..."

La cabine entama sa paresseuse ascension. Seattle n'avait rien d'une ville de traditions, à part pour les fans d'aviation, et Ryan avait espéré se retrouver dans un de ces ascenseurs grillagés passant par le milieu de la cage d'escaliers. Mais seuls les bourgeois avaient sans doute les moyens d'entretenir de telles antiquités de nos jours.

C'aurait pu être un moment parfait pour des préliminaires, mais il n'en fut rien. Ava était trop épuisée et endolorie de partout pour cela. Dans le taxi, elle lui avait été reconnaissante de ne rien dire, de se contenter de passer un bras autour de ses épaules, en une simple présence réconfortante. Elle ne le connaissait ni d'Eve ni d'Adam, mais, pour le coup, on aurait pu croire qu'il était tombé du ciel pour lui venir en aide. Et il fallait l'avouer, il était tombé à pic.

Au moment d'entrer dans l'ascenseur, Ava puisa dans son empathie pour se transmettre le calme de Ryan. Non, elle n'aimait pas les ascenseurs. Elle détestait ça. Mais monter les sept étages à pied dans son état, elle ne voyait pas comment faire. "A part quand ça fait partie des préliminaires, j'supporte pas les ascenseurs..." Au moins, c'était dit.

L'ascenseur était une boîte en béton, relativement étroite, puisque seules trois personnes pas trop grosses pouvaient tenir dedans en se serrant. Mais pour deux, c'était assez. Pourtant, Ava retint son souffle jusqu'à ce que les portes s'ouvrent sur son étage et elle se dirigea machinalement vers sa porte, fouillant dans ses poches pour récupérer ses clés. *Et merde...*

"Tu pourrais r'garder sous l'paillasson? J'suis pas sûre d'pouvoir m'rel'ver si j'le fais moi..."

Elle détestait ça, dépendre des autres. Mais là, elle n'avait pas le choix. L'empathe appuya son front contre le mur, tout en expliquant à Ryan comment procéder pour ouvrir cette porte capricieuse.

"Ah, pendant les coupures de courant, c'est un classique."

Adossé à une paroi, les bras croisés, Ryan préférait prendre la chose avec légèreté pour ne pas manquer à sa promesse personnelle, et c'est pour cette raison qu'il s'abstint de mentionner que l'ascenseur les emmenait au septième ciel.

*Repas, boisson, douche, soins éventuellement, et on voit après.*

Il appréciait la liberté de ton d'Ava. Les fausses timides et les prudes l'ennuyaient. Pas autant que les dangereuses psychopathes qui mettaient son intégrité physique en danger, certes, mais le Hawaïen ne comprenait pas que l'on puisse s'offusquer du sujet de conversation le plus naturel du monde.

"Après vous."

Il laissa la jeune femme le précéder, ne sachant pas devant quelle porte s'arrêter. Il s'accroupit immédiatement lorsqu'elle lui demanda de récupérer la clé à sa place, et passa plusieurs secondes à s'acharner sur le verrou avant d'en saisir la subtilité et de l'ouvrir sans avoir même à forcer. Il s'effaça sur un des montants.

"Fais comme chez toi." ajouta-t-il avec un petit rire.

Il attendait par principe qu'on lui propose de rentrer, mais en profita pour jeter un coup d'oeil à la décoration.

*Ne pas jouer les envahissants qui vont directement se chercher une bière dans le frigo.*

Ava esquissa un sourire à la remarque de Ryan sur les coupures de courant et, comme lui, s'appuya dos à la paroi de l'autre côté de l'ascenseur. C'était plus facile comme ça. De toute façon, ses côtes la rappelaient à l'ordre à chaque inspiration. Heureusement qu'elle était presque rentrée. Bientôt, elle pourrait prendre une bonne douche, et voir dans quel état était son corps. Bientôt... Sortie de l'ascenseur, elle guida Ryan jusqu'à sa porte et le laissa procéder pour ouvrir, le front collé contre le mur. Elle ne profita même pas de la vue. A croire qu'elle était réellement, littéralement épuisée et endolorie.

"Merci" dit-elle simplement lorsque la porte s'ouvrit, comme si ça résumait tout.

Elle précéda Ryan dans l'appartement et se baissa tant bien que mal pour ramasser le jean et la chemise qu'elle avait abandonnés là plus tôt dans l'après-midi, le blouson, à présent fort abîmé, se trouvant sur son dos.

"Désolée. J'ai dû partir en speed tout à l'heure pour le boulot."

Elle marqua un temps de silence tout en le dirigeant vers la petite cuisine américaine.

"J'dois avoir des bières, dans l'frigo." commença-t-elle tout en essayant d'enlever son blouson, ce qui s'avéra juste trop douloureux et impossible à faire seule. "Et merde... J'crois qu'j'vais avoir b'soin d'un peu d'aide...

Au fait, tu viens faire quoi, donc, à New York?"

Ryan s'abstint de tout commentaire sur le désordre. Quelques vêtements en vrac n'avaient jamais tué personne. Lui-même était plutôt un type ordonné, ce qui évitait de lui faire perdre un temps très précieux, mais il ne l'était pas au point de la névrose. Du reste, il visitait rarement des appartements avec l'intention de s'y installer. Et un jean et une chemise...il avait vu des chambres avec d'autres genres de fringues qui trainaient, qui pour le coup pouvaient donner une impression vraiment mauvaise. Après coup, surtout.

Et il fut ravi que son besoin de rafraîchissements ait été anticipé. Il n'avait pas bu du trajet, dégoûté par les tarifs prohibitifs des bras à bord des monorails, et s'apprêtait à aller chercher sa récompense lorsque son hôte sollicita de l'aide.

"Aucun souci", dit-il simplement en souriant. Il se plaça derrière Ava, et commença à délicatement tendre son bras droit.

*Gentleman, gentleman.*

Tout en poursuivant son travail d'orfèvre visant à épargner les muscles déjà endoloris de la jeune femme, il décida de mettre les doigts de pied dans le plat. Il fallait qu'il évoque le souci d'une manière ou d'une autre, et, l'un dans l'autre, si Ava s'avérait être anti-mutants, il se sentait capable de la maîtriser physiquement, vu son état.

"Et bien en réalité, je suis à la recherche d'un mutant. Un hydrokinésiste." Il ajouta le dernier détail, souhaitant donner de la crédibilité à son histoire. "On m'a dit que lui ou certaines de ses connaissances résideraient à New York, d'où ma présence. Je sais, c'est vague" avoua-t-il en finissant de tirer sur la manche pour libérer son bras droit. Le gauche fut beaucoup plus rapide, et Ryan se retrouva avec le blouson dans les mains.

*Gentleman.*

"Tu veux que je le range quelque part ?"

Ava se laissa faire avec délices. Ryan, visiblement, ne cherchait pas à profiter de la situation. C'était à la fois un mal et un bien. Après tout, la jolie brune n'aurait pas été contre un peu de réconfort. Pour un peu, elle se serait laissée aller dans les bras de l'Hawaïen derrière elle. Et c'est ce qu'elle aurait fait, s'il n'était pas entré dans le vif du sujet de sa présence à New York.

Un mutant. Il cherchait un mutant. La jeune femme se raidit un instant, le laisant finir de lui enlever son blouson et se retourna vivement vers lui, du moins, autant que possible dans son état.

"Tu lui veux quoi, à c'mutant?"

Pour sa part, elle ne connaissait aucun autre mutant qu'elle, mais ce n'était pas une raison. Si Ryan était un anti-mutant, elle ne l'aiderait pas dans sa recherche. C'était hors de question. Toutefois, s'il était lui aussi mutant, cela ouvrait à des perspectives intéressantes. S'il était aussi mutant, ils pourraient peut-être chercher ensemble des gens qui pourraient les aider avec leurs pouvoirs.

En attendant, les yeux couleur glacier d'Ava semblaient lancer des éclairs. Elle n'était pas en forme, elle avait l'impression qu'elle allait finir par tomber, mais cela ne l'empêchait pas de puiser dans son côté rebelle pour continuer à tenir debout. La peur qu'elle avait ressentie face à March et au gaz vert s'était depuis longtemps envolée.

*C'était mal formulé. Ryan, t'es une brèle en diplomatie.*

La réaction d'Ava surprit l'Hawaïen qui recula légèrement, ne s'attendant pas à ce que la blessée puisse manifester autant d'énergie dans une simple rotation du buste. Il avait touché un point sensible, elle était revenue dans même mode que lorsqu'il l'avait aidée près de son tas d'ordures.

*J'ai encore dit ce qu'il fallait pas.*

Il se gratta la tête en réfléchissant rapidement à quoi répondre. En vérité, une question était essentielle : est-ce que cette agressivité était dirigée vers les mutants ou vers les gens qui cherchaient des mutants ? Dans les deux cas, un mauvais choix pourrait avoir des conséquences dramatiques.

Après une courte hésitation, Ryan opta pour la vérité. Si elle se mettait à lui cracher des insultes racistes, il pourrait bêtement se tirer d'ici, et peu de chances qu'elle parvienne à le poursuivre. La prochaine fois, il y réfléchirait à deux fois avant de porter secours à une demoiselle en détresse.

"Je suis un mutant. Je cherche un prof."

C'était dit. Il hésitait à faire une démonstration dans l'appartement, faute d'envie de passer la serpillière. Il était un chevalier servant dévoué, un gentleman, mais il y avait des limites.

"Donc je le range où, ton blouson ?"

Ryan osa un petit sourire, anxieux malgré tout qu'on lui crache au visage en réponse. Il se sentait un rien tendu, mais au moins, Ava n'avait ni batte de baseball, ni poing américain à portée de main. Et il était certainement plus vif qu'elle. S'il fallait utiliser le manteau comme un foulard de toréador, il était prêt.

Ava se méfiait. Elle en avait trop vu dans les dernières heures, avait failli y laisser sa peau pour ne pas se méfier lorsque quelqu'un déclarait chercher un mutant. Elle était attentive à la moindre émotion de Ryan, émotion qui pourverait s'il mentait ou non lorsqu'il lui répondrait. Et elle espérait vivement qu'il dirait la vérité, et que celle-ci serait celle qu'elle voulait entendre. Car, pour le coup, elle espérait avoir à faire à quelqu'un qui soit comme elle, pour changer. Autant dire qu'elle appréhendait grandement la réponse de l'Hawaïen. La tension était presque palpable. Pour un peu elle aurait manqué de la transmettre à Ryan, mais elle se contenait. Aussi, lorsque celui-ci avoua être un mutant cherchant un prof, le soulagement se peignit-il sur le joli visage de la jeune femme qui, pourtant, fut incapable de répondre pour le moment, laissant le soulagment la gagner. Ce ne fut que lorsqu'il reprit la parole et qu'elle sentit son anxiété qu'elle put à nouveau réagir.

"J'te fais peur?" demanda-t-elle tout en envoyant une sorte de vague d'apaisement - le sien propre - à Ryan. Ce serait, qui plus était, un bon moyen de s'assurer que March avait menti à son sujet.

"J'connais pas d'hydrokinésiste. J'suis qu'une empathe..." enchaina-t-elle avec un sourire d'excuse. "Personne l'sait autour d'moi. Ca fait du bien d'pas avoir à l'cacher, pour une fois..."

Pour la première fois, Ava adressa à Ryan un sourire chaleureux qui monta jusque dans ses yeux et sembla réchauffer son visage dans son ensemble. La jeune femme s'approcha doucement du mutant et posa sa main sur sa veste et sur la main qui la tenait.

"J'suppose qu'il va faire comme le reste des fringues que j'porte là... Il va aller dans le panier d'linges sales..."

"Empathe ?"

Ryan profita de la surprise qui s'afficha légitimement sur ses traits pour tenter de se souvenir ce que cela impliquait.

*Un rapport avec les émotions je crois.*

Le plus important dans cette révélation, étant qu'il faisait face à une autre mutante. Peu de risques donc qu'elle réagisse comme les tondus. Par contre, elle pouvait avoir le même rapport aux hommes que Hope...

*OK, Ryan, tu l'oublies maintenant celle-là. Stop. Elle n'a jamais existé que dans tes pires cauchemars.*

Cela s'avéra d'autant plus simple que le Hawaïen se sentait apaisé. Confiant. La relative paranoïa provoquée par ses aventures récentes avait disparu. Ne restait que le bonheur de se trouver en si charmante compagnie. Pouvait-il rêver d'un meilleur départ pour
sa vie new-yorkaise ?

"Non, c'est bon, je suis rassuré ..."

Le contact de la main d'Ava envoya des frissons courir le long de sa colonne vertébrale. Un sentiment pas désagréable du tout, songea-t-il.

"Donc ce que je ressens en ce moment, c'est parce que tu es empathe, pas parce que tu es belle à en tomber, ou parce que tu as des yeux magnifiques ?"

A son tour, Ryan s'approcha d'elle. Il posa sa main libre sur la taille d'Ava.

"Tu as raison...d'un coup, j'ai envie de prendre une douche. Je t'ai dit que j'étais hydrokinesiste ?"

Il n'ajouta rien, laissant la jeune femme conclure par elle-même. Il était plus occupé à approcher ses lèvres des siennes. Hope avait complètement disparu, image comprise. Elle n'avait aucune chance face à de tels yeux bleus.