[Courtier Ryan Balcasco]Seattle, Séduisants projets

Ryan avait toujours des chiffres plein la tête alors qu'il avait fini de travailler depuis près de quinze minutes. C'était la faute de la ruée vers les ascenseurs. Il s'était retrouvé bloqué entre deux de ses collègues qui l'avaient assommé du récit de leurs actions de la journée pendant que leur transport s'arrêtait à tous les étages du lobby. Le trajet dura plus de trois minutes et donna amplement le temps au Hawaïen de regretter l'oubli de ses écouteurs en quittant son appartement le matin. Il les avait utilisés pour aller faire un jogging la veille, et avait omis de les replacer dans son sac.

Il retira sa cravate d'un geste habile en passant les portes de la tour dans laquelle se trouvait son bureau, et attendit de devoir attendre que le feu piétons passe au vert pour faire de même avec sa veste de costume. Ryan aurait apprécié un code vestimentaire un peu moins strict dans sa société, mais c'était le prix à payer lorsque l'on choisissait la finance. Il remonta jusqu'au coude les manches de sa chemise vert pâle et prit la direction du parc de Riverton.

L'Hawaïen n'était absolument pas un amateur des espaces verts, même si Riverton était plutôt joli, avec ses lacs artificiels qui attiraient les oiseaux. Seul les grands espaces trouvaient grâce à ses yeux, et il ne considérait pas ces enclaves de verdure coincées entre les buildings comme de véritables lieux de nature. Mais il avait par deux fois emprunté ce chemin pour rejoindre son appartement la semaine dernière, et par deux fois avait croisé une très jolie hispanique qui ne l'avait pas laissé de marbre. Le vieux dicton disant bien "Jamais deux sans trois", Ryan avait décidé d'être préparé au cas où cette charmante demoiselle se retrouve de nouveau sur son chemin.

*La bousculade malencontreuse, ça marche toujours. Mais non, pas assez élégant, plutôt...faire semblant de la reconnaître. "Hey, Betty, c'est toi ?" Non, Betty ça va pas comme prénom. Plutôt Michelle, avec une pointe d'accent français. "Hey, Michelle, c'est toi ?" Oui, plus flatteur. Et après, on laisse faire le talent.*

Trois rues et deux piétons grincheux plus loin, Ryan mettait le pied à Riverton. Le beau temps avait poussé les locaux à venir coloniser les pelouses. De tous âges, ils donnaient au lieu une allure de plage australienne ou méditerranéenne pendant l'été. Et les marcheurs ne manquaient pas non plus. La tâche allait s'avérer rude, et le jeune homme n'avait pas l'intention de laisser le soleil compromettre ses plans.

Ryan était fort occupé à méditer sur la meilleure façon d'emballer une jeune fille, le soleil, les pelouses... Le plan de la bousculade malencontreuse semblait être un plan de choix en l'occurrence, et la relative cohue allait sans doute se révéler être un avantage dans la mesure où...

Ryan revint à ses esprits, percuté de plein fouet par une créature forgée dans l'acier, le bronze, ou l'airain.


Une créature au verbe qui ne se démonta pas :

"Vous pouvez pas regarder où vous allez non ?", demanda-t-elle froidement.

Seattle était bien plus proche du Canada que de Mexico, et la proportion d'Hispaniques dans la population n'avoisinait en rien celle de, mettons, Miami. Pourtant, repérer sa cible n'avait rien d'une partie de plaisir au milieu de la foule bigarrée des cadres, étudiants, retraités et amoureux qui n'avaient, eux, pas éludé le plaisir de marcher entre des arbres plutôt que sur du bitume. Ryan marchait donc sur la pointe des pieds, tentant de repérer la chevelure brune, le teint mat et les yeux émeraude qui lui avaient par deux fois donné des frissons.

Il devait régulièrement tendre le cou à gauche et à droite pour éviter une tête qui obstruait son champ de vision, ce qui le poussait presque à faire de petits sauts. Par deux fois déjà il avait évité au dernier moment une collision avec un marcheur un peu plus énergique que les autres. La troisième fois, il n'eut pas autant de chance. Peut-être une question d'angle mort ? Avant même de rouvrir les yeux, il se mit à sourire, la sympathie aidant souvent à résoudre les petits conflits de la vie quotidienne, puis...

*Waouh.*

Ryan regrettait de ne pas avoir de lunettes de soleil à retirer, qui lui auraient offert quelques secondes pour pouvoir un peu plus dévisager celle qu'il venait de heurter. Sculpturale était un euphémisme, et cela laissa le Hawaïen sans voix durant un petit instant qu'elle mit à profit pour l'interroger légitimement sur sa distraction.

"Je vous prie de m'excuser, il faut croire que votre beauté m'avait aveuglé.", répondit-il en souriant de toutes ses dents. Il flashait plutôt sur les brunettes, d'habitude, mais là les circonstances jouaient en la faveur d'une entorse aux traditions. Il se gratta les cheveux d'un air gêné.

"Peut-être que vous offrir un café m'aiderait à remonter dans votre estime ?" Après tout, cela valait le coup de demander. Quelques instants plus tôt, il envisageait une bousculade volontaire, peut-être le destin souhaitait-il lui faciliter la vie.

*Vue la dame, aucune raison de me plaindre. Si ça devient une habitude, je me méfierai, mais là, autant en profiter.*

Par principe, il jetait de petits coups d'oeil pour voir si l'hispanique ne passait pas par là. Histoire de pouvoir comparer en temps réel.

La sculpturale jeune femme afficha instantanément un sourire dont l'amabilité laissait également transparaître la joie que pouvait éprouver le chat quand il constatait qu'une souris venait jouer entre ses pattes.

D'une démarche respirant l'aise et la sensualité, elle s'approche de Ryan, et vint lui attraper le bout du menton de sa main.

"Justement, c'est incroyable cet aveuglement par ma beauté.", annonça-t-elle d'une voix suave.

"Parce que ce n'est précisément pas ma beauté que tu étais en train de reluquer...", observa-t-elle non sans une discrète pointe de triomphe.

Tout en descendant son index sur les courbes du torse de Ryan, elle continua.

"Mais je suis absolument convaincu qu'un grand garçon comme toi...", elle laissa un temps, le temps pour son doigt d'arriver à sa ceinture "N'a plus grand chose à remonter à l'heure actuelle.", conclut-elle d'un air taquin, tout en faisant claquer l'élastique des sous-vêtements de Ryan.

Ryan se laissa faire, tout de même surpris du changement brusque d'attitude de celle qui était passée en quelques secondes de très irritée à plus-que-tentatrice. Son instinct de chasseur commençait à lui susurrer des mots ironiques sur le manque de mérite quand la proie se livrait au chasseur. Mais le Hawaïen avait senti comme un changement pas déplaisant du rapport de force.

"Un instant, j'ai cru que mon excuse venait pour la première fois de fonctionner. J'essaie désespérément de la faire passer, vous n'imaginez pas."

Effectivement, difficile de rester de marbre face à une naïade pareille, et Ryan restait un homme avec ses faiblesses. Il remit machinalement sa ceinture en place sans se départir de son sourire. Sa soirée s'annonçait-elle encore meilleure que prévu ?

"Et encore, je n'en suis qu'à l'échauffement. Si vous n'êtes pas très café, je connais d'excellents bars. Plutôt lounge, irlandais, électro ?"

Il se tourna pour pouvoir poser son bras libre autour de la taille de la dame. Quitte à prendre une claque, un coup de poing, ou une flexion de genou mal placée. Son charme ayant aussi ses limites, il s'était naturellement préparé aux conséquences d'un geste trop déplacé. Ou considéré comme trop précoce - certaines claques n'avaient pas pour autant mis fin au dialogue.

"...et je tiens à préciser que la beauté est un tout. Je ne fais que m'attarder sur les éléments les plus...euh...percutants ?"

La métaphore n'était pas exactement partie dans la direction souhaitée, mais Ryan sentait qu'il s'était un peu trop lancé pour s'arrêter en si bon chemin, et en profita pour jeter un pas-si-discret coup d'oeil sur le dos de la dame.

"D'ailleurs, ils sont loin d'être...hum... les seuls arguments...dignes...d'intérêt...non, ne me dites rien, je sais parfaitement quand commencer à ramer."

Il n'était pas certain que le sourire charmeur-désarmant fonctionne sur celle qu'il sentait de plus en plus prédatrice, et un petit frisson se mit à lui parcourir le dos. Pas désagréable non plus, d'ailleurs.

La déconcertante jeune femme semblait se délecter des réponses de Ryan, comme si elle signifiait pour elle un plaisant et attendu dessert après des années de disette.

"Je serais... ravie... de passer un moment avec toi.", murmura-t-elle en approchant ses lèvres de visage de Ryan, et en murmurant pour lui souffler dessus. Puis elle s'esquiva, se faisant attraper par la taille. Elle en profita pour glisser son bras autour de la taille de Ryan, et sa main dans la poche arrière de son pantalon. Elle lui pinça les fesses au passage.

"Allons dans un endroit intime et tranquille... Je suis tellement lasse de tous ces gens.", proposa-t-elle avec une langueur exagérée.

La pincette fit discrètement sursauter Ryan, qui, intérieurement, était soulagé de ne pas avoir vu ses avances ponctuées par une riposte physique. Quelque chose lui soufflait que cette belle plante n'était pas inoffensive, et qu'il valait mieux être dans ses faveurs que sur sa liste rouge.

"Par ici", dit-il en pointant l'Est de la ville du doigt. "Vers Belltown. Je suis sûr qu'on trouvera un coin cool et tranquille. C’est un peu prématuré de proposer directement mon appartement."

Il l'entraîna dans la direction qu'il avait désignée en jetant des regards qu’il voulait intimidateurs aux passants qui ne s’écartaient pas assez vite. Maintenant qu’il était deux, il avait la priorité, cela ne se discutait même pas.

"Là, c’est le moment où je suis censé te poser toutes les questions bateau." Il était naturellement passé à son tour au tutoiement pour plus de facilité. "Genre, où tu habites, d’où tu viens, qu’est-ce que tu fais dans la vie, c’est quoi ton film préféré…ah, et puis comment tu t’appelles. Moi c’est Ryan."

Tout en avançant vers la sortie du parc, il essayait de prendre une décision au sujet du bar vers lequel emmener sa compagne. Il raya de son esprit les pubs irlandais ou écossais dont la propreté laissait parfois à désirer en début de soirée, et laissait toujours à désirer en fin de soirée. Plutôt lounge cool. Ryan aimait bien prendre son temps dans ces moments, inutile d’être un lièvre, ça ne faisait pas forcément bonne impression pour la suite des opérations.

"Je dois quand même avouer que je suis plus habitué à payer un peu plus de ma personne avant d’inviter quelqu’un à boire un verre. Ou plutôt, avant que ma proposition soit acceptée. Là, je suis un peu dans l’inconnu", conclut-il avec un grand sourire. L’incertitude avait quelque chose d’excitant, surtout sous ces traits.

Ryan put à nouveau sentir ses fesses pincées alors que la bombe à son bras lui répondait.

"J'aurais bien aimé visiter ton appartement... Mais nous serons aussi bien à l'extérieur, tu as sans doute raison."

Elle rit alors comme une petite folle des platitudes de Ryan qui lui expliquait sa technique de drague habituelle, et le serra vaguement contre lui, avant de se présenter à son tour.

"Moi c'est...", elle ajouta à son oreille, comme si elle lui confiait un grand secret "Hope."

Hope ne sembla pas se formaliser des états d'âme de Ryan, et elle se contenta de lui répondre.

"Ne t'inquiète pas, Ryan... Je vais faire en sorte que tu sois à l'aise et détendu, sauf à un endroit précis."

Elle ne précisa pas où.

*Okay, il y'a quelque chose. Elle est sous amphets. Ou alors, non, elle a passé six mois dans l'Utah et est retournée à la civilisation depuis trois heures.*

Ryan tentait de trouver une raison rationnelle à l’excessive promiscuité de sa compagne. Il sentait qu’elle était à deux doigts de lui sauter dessus en pleine rue. Et le Hawaïen, malgré la haute opinion qu’il avait de lui-même, était persuadé qu’autre chose que son charme était la cause de son comportement. Le pire étant qu’il ne s’en plaignait même pas.

"Hope ! Charmant."

*Et là, tu évites la métaphore poétique stupide sur l’espoir qu’elle a déjà entendu mille fois. Surtout qu’elle a dépassé le stade des métaphores.*

Le premier regard qu’elle lui avait jeté lui assurait qu’elle n’était pas juste une blonde décérébrée. Ou alors, elle avait un moyen d’éteindre toute son activité cérébrale sur un claquement de doigts. Un pouvoir intéressant, Ryan aurait rêvé d’en être capable en sortant du boulot.

"Là, sérieusement, je dois t’avouer qu’il me manque quelque chose. Normalement, il faut au moins que je me mette un peu en valeur. Genre, je sais pas, j’ai une bonne situation. J’ai visité des coins géniaux. Je sais faire des tours de magie. Des trucs du genre."

Il ne se départait pas de son sourire, et il ne pouvait pas dire qu’il se sentait mal à l’aise. Il voulait simplement être honnête. Pour une fois, ça lui semblait être la meilleure solution.

"Je…hum…j’imagine que tu n’en auras rien à faire de tout ça. C’était juste pour…je sais pas pourquoi en fait. Une sorte d’habitude. Si ça t’emmerde, ne réponds pas, dis-toi juste que c’est pour que je me sente en confiance. C’est pour assurer mes…mes performances."

Ryan fit traverser la rue à sa compagne et l’invita à bifurquer sur la gauche. De mémoire, il y avait un bar sympa par là.

"Alors, de quoi vit une superbe femme comme toi ? Laisse-moi deviner, attends. Mmh…Marketing ? Du droit ? Non, je t’imagine mal avocate. Productrice de cinéma ? Sportive pro ? Agent secret russe ?"

Si Hope sentait le malaise qui habitait Ryan avant qu'il n'en parle, elle ne fit pas montre une seule seconde, se contentant de sourire benoîtement quand celui-ci lui avoua qu'il trouvait son prénom charmant.

Ce n'est qu'une fois la rue traversée, et une fois la bifurcation à gauche prise qu'elle délia sa langue.

"Ce que je fais dans la vie ? Mmh... Je ne sais pas trop si j'ai le droit d'en parler sans te mettre en danger. En danger létal...", comme entrée en matière, c'était plutôt réussi.

La rue était assez calme. Hope s'arrêta, et regarda un instant autour du couple, comme pour vérifier qu'aucun importun ne serait là pour assister à un viol en pleine rue... Puis finalement, elle retira sa main de la poche arrière du pantalon de Ryan.

Ryan ne comprit pas trop bien ce qui se passa par la suite, si ce n'est que le monde autour de lui avait basculé avec force, et qu'il était maintenant plaqué contre un mur de briques, et que ses pieds ne touchaient plus terre. Il avait été manifestement mis dans cette position par Hope, qui le tenait d'une main par le cou, et de l'autre main par la ceinture. Une prise froide et implacable comme l'acier. Et deux yeux de plomb qui le dévisageaient.

"En réalité, mon job, c'est de faire en sorte que des obsédés de la quéquette dans ton genre retournent se branler sur Newlook, plutôt que d'emmerder les filles. Non mais regarde toi. Tu te prends pour un latin lover irrésistible, bellâtre pété de thunes et de qualités qui n'existent dans ta tête, mais tu te retrouves à débander plus vite qu'un vieillard quand tu as une fille un peu chaude en face de toi."

Le sang commençait à furieusement battre aux tempes de Ryan, et l'air lui manquait, elle étranglait sérieusement la bougresse.

"En réalité, t'es qu'un minable qui a juste besoin de se faire flatter par des poufiasses sans cervelle."

Elle le relâcha subitement, laissa Ryan s'écrouler au sol. Se baissant sur lui, elle lui murmura

"La prochaine fois, va plutôt sur pouf.com parce que dans la rue, on peut y laisser des plumes."

Elle tourna les talons, et le laissa là reprendre son souffle et ses esprits, même sil ne pouvait dénier que son discours l'avait au moins autant traumatisé que son étranglement.

Donc Ryan avait eu un bon pressentiment au sujet de cette fille. En fait, deux bons pressentiments. Premièrement, quelque chose ne tournait pas rond avec elle, deuxièmement, elle était plus dangereuse qu'elle n'en donnait l'air. Il se retrouva plaqué contre un mur par deux bras bien plus musclés que ce à quoi il s'attendait, tandis que "Hope" lui faisait la morale sur un ton bien moins aimable.

*Oups.*

Ceci fait, elle le laissa retomber sur les fesses. Le Hawaïen baissa la tête pour masser son cou endolori tout en ruminant ses paroles.

*Tu parles d’un mot malheureux. *

Il se releva, et se composa un sourire d’apaisement pour indiquer aux passants que tout allait bien et qu’ils pouvaient vaquer à leurs activités. Ryan savait que les Samaritains étaient rares et que selon toute vraisemblance, voir un homme se faire à moitié étrangler dans la rue ne les détournerait pas de la musique qu’ils écoutaient ou du journal qu’ils lisaient, mais il préférait rassurer les exceptions.

La dangereuse s’éloignait, mais pour le coup, il avait d’autres questions à lui poser. La main massant toujours doucement son cou, il trottina sur quelques mètres afin de se remettre à sa hauteur – mais garda une distance de sécurité qui lui permettrait de réagir au cas où elle retente l’expérience. Ceci, et il était désormais bien plus méfiant.

"Hé euh…Hope, ou quel que soit ton nom. C’est bon. Message compris. Mais j’ai quand même quelques questions, d’autres questions hein. Du calme."

*P….n ce qu’elle serrait fort cette garce.*

"D’abord, je te présente mes excuses, je pensais pas que je t’avais offensée. Parce que je t’ai offensée, je suppose ?" Il mit ses mains devant lui en signe d’apaisement. "J’avoue, je regardais pas devant moi et je suis dé-so-lé de t’être rentré dedans. Au propre comme au figuré."

Sa nuque ayant définitivement besoin de soins, il grimaça et reprit son petit massage.

"Ensuite, je ne suis pas un..." – il plia l’index et le majeur de sa main libre pour figurer des guillemets – " "obsédé de la quéquette". En quoi est-ce que tu trouves ça révoltant de jouer les charmeurs ? C’est insultant en général, ou juste parce que je suis tombée sur toi et que, là j’avoue, je joue pas dans ta catégorie ? J’aurais compris un « non », je suis pas idiot. Et crois-le ou non, je suis pas non plus du genre à m'acharner."

Ryan pensait, d'après sa propre expérience, que la majorité des jeunes femmes trouvait plutôt flatteur de voir quelqu’un s’intéresser à elles, y compris lorsque cet intérêt n’était pas réciproque. Elles n’hésitaient pas à dire non, d’ailleurs, et il avait cessé depuis bien longtemps de comptabiliser ses échecs. Mais généralement, elles disaient juste « non ». Ou alors « Pas mon genre, désolé ». Dans le pire des cas, « Dégage, pouilleux ». Elles prenaient la compréhension de l’information moins à bras-le-corps.

"Je veux bien admettre m’être comporté de façon déplacée. Mais si je ne suis, clairement, pas ton genre, ça veut dire que je suis censé rester me cacher jusqu’à devenir vieux garçon, c’est ça ?" La douleur ne souhaitant pas se calmer, il ajouta : "Et, nom de Dieu, qu’est-ce que tu bouffes au petit-dej’ ? J’ai l’impression d’avoir été attrapé par un étau."

Ryan avait fait le tour de ses questions. Par sécurité, il se tenait prêt à se baisser, reculer ou partir en courant si un nouveau signe d'agression pointait son nez.

Hope s'interrompit, sans se retourner, puis serra les poings, montrant par là-même s'il en était encore besoin une puissante exaspération.

Elle se retourna d'un geste souple, et posa une main sur sa hanche, toisant Ryan d'un regard glacial sur un faciès inexpressif.

"Tu m'as offensée et ton m'offense là encore par ton absence totale de classe et d'intelligence. Tu es une insulte à l'espèce humaine en te comportant comme un dragueur de bas étage t'imaginant que toutes les midinettes vont te tomber aussi facilement dans la bouche qu'un happy meal au mcDrive le plus proche."

Sa langue décochait des flèches acérées. Visiblement, elle savait viser....

"Tu n'es pas un charmeur, non...", s'amusa-t-elle, riant, tout en se rapprochant, "Non en réalité, tu es... Un plouc. Un minable. Un Don Juan d'opérette. Et si tu as pu croire ne serait-ce qu'une seule seconde que tu pouvais jouer dans ma cour ou que je me suis intéressée à toi, alors tu es encore plus stupide que ce qui te pend entre les jambes."

Maintenant qu'elle était plus proche, Ryan pouvait constater que, décidément, elle arborait un masque inexpressif et implacable. Elle lui asséna une pichenette au milieu du front, puis conclut,

"Estime-toi heureux que je ne t'en ai pas délesté.", un haussement de sourcil plus loin, elle tournait à nouveau les talons et s'en allait.

*Bon bah, au temps pour la version courtoise et civile.*

De réponse, il n'y aurait pas plus, même en jouant la carte de la neutralité et de la repentance. Cette fille avait une idée très claire de la situation et une opinion très haute de sa propre personne, ou très basse de la sienne, Ryan ne savait pas trop et ne voulait plus savoir. Finalement, la question était réglée, et hormis son cou et son ego, rien n'était froissé.

"Je suis ravi", commenta-t-il alors qu'elle s'éloignait. "Bonne chance dans de l'homme de ta vie. Muet, soumis et résistant à la strangulation !"

Certes, c'était lâche d'attendre qu'elle s'éloigne. Cela dit, dans cette histoire, Ryan avait du mal à se considérer comme coupable. Et ce n'était pas du manque de courage face à cet androïde et ses bras en acier qui allait le faire se sentir responsable.

*Quand on n'est pas intéressé, on dit non, bordel ! Parfois, on le dit d'un air méprisant, mais c'est le max.*

Ruminant sur la qualité des derniers rapports sexuels de cette "Hope" - il aurait dû s'en douter, avec un nom pareil, qu'elle se moquait de lui - il se retourna, remit sa veste sur son bras et se prépara à reprendre la direction qu'il voulait prendre. Trop tard pour la jolie hispanique, mais le Hawaïen n'était de toute façon plus trop d'humeur.

*Peut-être que les collègues sont allés boire un verre ?*

Il sortit son téléphone tout en commençant à marcher. Puis un dernier détail lui revint, et il se retourna en criant.

"ET LA RACE HUMAINE, J'EN FAIS PAS PARTIE, PÉTASSE !"

Il l'avait hurlé à la ronde. L'avantage des grandes villes, c'est que même lorsque l'on ne passait pas inaperçu, on finissait par retomber dans l'oubli. Pour oublier sa mésaventure, le Hawaïen, massant toujours sa nuque endolorie, réfléchit à son week-end. Il fallait qu'il parte à l'aventure quelque part, faire un trek. La routine le tuait, et, maintenant, les femmes voulaient aussi le tuer.

Marchant dans la ville sans vraiment de but, ni avoir téléphoné à qui que ce soit, Ryan se retrouva bientôt dans un endroit un peu plus isolé qu'il ne l'aurait fallu. Quoique par chance, il n'était pas vraiment tout seul. Il y avait une petite bande de jeunes gens à proximité, qui avaient l'air très sympathiques avec leurs blousons noirs, leurs crânes chauves (et probablement vides), et leurs tshirts arborant des têtes de mort.

Et puis c'était probablement des sportifs aussi, vu qu'ils avaient tous une batte de base-ball, même si on pouvait se demander à quel sport pouvaient être associé les couteaux et poings américains...

"Nous on aime pas les monstres dans ton genre... Et y'a qu'un truc à faire contre les monstres c'est les édi... les éra... les buter.", affirma doctement le chef de la bande. La Confédération n'était manifestement pas encore assez loin de l'état de Washington.

*D'accord, Dieu. J'ai compris, j'ai fait un truc qui t'a pas plu. Mais je suis pas un type fermé au dialogue, hein ! On peut bêtement discuter, entre gens civilisés, de ce qu'il faudrait que je fasse. Et avant que j'oublie, la nuée de sauterelles, tu peux la garder pour quelqu'un d'autre. Sans rancune, hein ?*

Ryan maudissait de plus en plus cette journée. Il voulait rencontrer une fille ? On peut dire, dans un sens, qu'il avait été servi trèèèès au-delà de ses espérances. Il appréciait la surdité des foules américaines ? Il était devant la preuve que certains de ses membres avaient des oreilles en état de marche, faute d'avoir un cerveau dans le même état. Il soupira.

"Bon, les gars, on peut discuter ? Non, on peut pas, hein."

Inutile d'attendre une réponse. Peut-être qu'il gagnerait un peu de temps pendant qu'ils cherchaient à comprendre chacun de ses mots ? Intuitivement, il observa les alentours à la recherche d'une source d'eau qu'il pourrait exploiter pour faciliter sa fuite. Car il sentait que la fuite était la solution miraculeuse dont il avait besoin, et il commença déjà à reculer pas à pas.

Sans même prendre la peine de dire à ses nouveaux amis que l'on disait "éradiquer". Ou, encore plus dur, "exterminer", mais ça ce serait pour la leçon suivante.

L'intelligence ruisselant sur les crânes lisses avec autant de facilité que la pluie sur des galets, il était prévisible que la tentative de diplomatie de Ryan se solderait par une amère désillusion.

Niveau source d'eau, il n'y avait pas grand chose : une flaque stagnante et croupie près d'une gouttière, une borne incendie au coin de la rue, mais probablement bien fermée...

En tout cas, ces chers décérébrés n'avaient pas besoin de source d'eau pour s'y mettre, d'autant qu'ils roulaient probablement à autre chose, et chargèrent tel un troupeau de bœufs enragés.

Son sens suraigu de l'observation fit rapidement comprendre à Ryan que son don aurait quelques difficultés à lui sauver la vie sur ce coup. Il ne s'était pas vraiment habitué à préserver son existence grâce à l'hydrokinésie : lors d'un trek dans les Rocheuses, il valait mieux avoir un plan de secours reposant sur autre chose que la présence d'un cours d'eau.

*Si je m'en sors, je déménage sur une baie. Ou sur une île. Ou dans un moulin à aube !*

S'il ne voulait pas être réduit à l'état de pulpe, il lui fallait détaler sans demander son reste. Il tourna donc les talons et se mit à courir en espérant que les randonnées, aquatiques ou non, aient suffisamment développé son endurance pour lui permettre de semer ses camarades.

Toutefois, il ne voulait pas être poursuivi sur de simples paroles. Il utilisa son pouvoir pour que la flaque d'eau sale, et tous les microbes en suspension à l'intérieur, se dirigent vers le visage de l'assaillant en tête du groupe. Ryan savait que c'était plus puéril qu'autre chose, et qu'il ne gagnerait rien à énerver ses agresseurs - cela ne les rendrait pas moins lucides ou moins intelligents.

*Et si je meurs, je lui aurait peut-être collé de l'herpès. J'espère qu'il en a pas déjà, ce serait de la triche.*

À en juger par le cri derrière lui, Ryan avait réussi son opération d'aveuglement de l'un des balourds. Mais il en restait encore toute une autre clique. Pour contrer l'appel du sang, il n'y avait guère que l'appel du sexe, et c'est une providentielle voix féminine qui se fit entendre à proximité de Ryan.

"Hey les mecs !"

Qu'est-ce que Hope pouvait bien faire là ? Mystère. Comment était-elle arrivée ici, un autre mystère. En tout cas, elle ne se démonta pas, faisant face au troupeau enragé. Prenant de l'élan avec son bras comme si elle allait lancer quelque chose, elle le propulsa finalement vers l'avant. Il sortit alors de sa paume un gros câble qui fusa à toute allure, fit trois tours autour des veaux, et dont la pointe alla se ficher dans la façade de l'immeuble qui bordait la rue. Sous l'effet du choc et de la tension du câble, les poursuivants furent stoppés nets, le souffle coupé, et se retrouvaient, lamentablement suspendus en l'air, ligotés au milieu de la rue.

"Ce que j'aime avec les cons, c'est que ça se récolte toute l'année.", commenta-t-elle en tendant un peu plus le câble qui sortait de sa paume.

"Ça va à part ça ? Ryan ?", la situation semblait l'amuser.

*Oooookaaaaaayy...*

Ryan resta quelques instants bouche bée, avant de s'apercevoir du manque d'intelligence de son attitude et d'opter pour un froncement de sourcils un peu plus sérieux et crédible. A sa décharge, il avait un retournement de situation dont, à première vue, il ne savait pas s'il était providentiel ou catastrophique.

Car il se souvenait parfaitement des termes assez...peu...sympathiques qu'il avait eu pour celle qui était désormais sa sauveuse. De deux choses l'une désormais : ou bien elle était de retour pour terminer le travail, auquel cas, à choisir, il préférait avoir à fuir la bande de loubards, ou bien elle était sincèrement venue à son secours, et il devait donc sortir la série d'excuses la plus plate de son répertoire et retenir sa respiration en espérant qu'elle ne soit pas trop rancunière.

*Nan parce que déjà sans les câbles, elle faisait peur.*

Il s'éclaircit la gorge.

"Hum...et bien, oui, maintenant, tout va bien. Plus...ou... moins."

Ryan n'était pas encore certain du ton à employer. Il fixait avec sans doute un peu d'insistance la main de Hope, craignant à chaque instant de subir le même sort que ses agresseurs, ou pire. Elle avait tout de même évoqué une suppression d'une partie de on anatomie qu'il considérait comme plutôt précieuse.

"Je voulais, hé bien, je voulais te remercier et te présenter mes excuses pour ce que j'ai pu dire." Il parlait en se grattant l'arrière de la tête. "Je...bon, d'accord, c'était puéril. Pardon. D'autant que je suis un con d'été, et que ça me gênerait d'être cueilli hors-saison. Ce serait moins savoureux."

Détendre l'atmosphère avait moins pour but d'essayer de désamorcer les intentions de Hope à son égard, Ryan sentant bien qu'il ne pouvait pas vraiment influer sur ses décisions. C'était plus pour récupérer un peu de contenance.

Tout en affirmant sa prise, Hope se voulut réconfortante pour Ryan.

"Rassure-toi Ryan, non seulement les cons se récoltent toute l'année, mais en plus, ils se conservent longtemps."

Difficile de dire si c'était très rassurant, ou même si c'était un compliment par ailleurs. Elle jeta un coup d’œil répugné à la grappe de rigolos qu'elle avait attrapé, puis finalement, se tourna à nouveau vers Ryan.

"Ceci étant si tu veux un conseil : entraîne toi avec tes pouvoirs avant de lancer à la cantonade que tu n'es pas un humain et que tu emmerdes le monde. Je connais un hydrokinésique très doué... Il te les aurait mis au tapis avec un verre d'eau."

Elle serra encore sa prise.

"Ah, et un autre conseil aussi : change de technique de drague. Parce que le latin lover qui se croit irrésistible, c'est complètement has been."

Elle semblait un peu plus coulante, subitement. Peut-être de la "fraternité de race", ou un truc du genre.

"Tu connais un hydrokinésique ? Et il donne des cours ?"

L'heure était à la détente. Hope n'était plus belliqueuse, elle était même sympathique. Ryan n'avait pas eu à voir sa dernière heure arriver. Mais la vue d'un groupe de racistes armés souhaitant se prendre à sa précieuse personne était assez influente pour le pousser spontanément à exercer ses capacités.

"Je sais, j'étais vexé. Et je pensais pas que quelqu'un me remarquerait, c'était idiot."

Sur ces points, il n'avait rien à redire. Sur d'autres, par contre...

"Mais parfois ça fonctionne ! Chez des filles qui manquent un peu de confiance en elles, par exemple. Mais je retiens ton conseil, il faut savoir euh...s'adapter. Là, clairement, c'était pas le cas. Je ferai des efforts," conclut-il en souriant.

Ryan avait toujours un peu de mal à réaliser que tout se finissait bien. La soirée avait commencé d'une telle manière qu'il s'attendait presque à recevoir un coup de téléphone annonçant que son appartement avait brûlé, que sa banque faisait faillite ou que sa mère était à l'hôpital.

"Enfin, sérieusement, si tu connais un prof qui pourrait m'aider à faire un peu plus de vagues, façon de parler, ça m'intéresse. Je pourrais au moins m'occuper tout seul de la récolte des types comme ça." Il pointait les types suspendus du pouce. "Et de leur hygiène. La finance, rayon sensations fortes, c'est pas le pied."

Il s'agissait plus d'une constatation que d'une complainte. Son travail était matériellement enrichissant, mais rien d'autre. Ce n'est pas pour rien qu'il partait à l'aventure tous les week-ends.

Hope haussa un sourcil.

"Des cours ?", elle semblait un instant incrédule, comme si cette possibilité ne lui avait pas une seule seconde effleurée l'esprit. Puis elle se fendit d'un sourire, probablement suite à une quelconque idée absolument désopilante.

"On va dire que si tu arrives à le trouver et à le convaincre que tu as assez de mérite pour ça, il te donnera des cours. Mais ne t'attends pas à une école avec une belle enseigne. Et niveau accueil, on va dire qu'il est comme son élément."

Sur ce mystérieux commentaire, elle s'approcha de ses victimes.

"Bon les mecs... Que diriez-vous qu'une gonzesse vous apprenne la vie ? Sur le terrain vague dans deux heures ? Ramenez tous vos potes. Vous verrez, ce sera une vraie orgie.", elle leur adressa une bise, puis détendit d'un coup son harpon qui se rembobina et disparu dans sa paume. De la pointe de sa chaussure, elle remit par terre l'un des loubards qui se relevait, puis finalement, elle alla vers Ryan.

"Tu ferais mieux d'y aller. Ceux là sont inoffensifs pour moi, mais je ne tiens pas à que tu prennes une batte perdue."

"Je me disais que je pouvais commencer à apprendre d'une professionnelle !"

Ryan partit d'un petit rire, mais s'apprêtait à se retourner. Il n'était pas particulièrement attiré par la violence, et quelque chose lui disait que cet affrontement - si les loubards étaient assez idiots pour y participer - serait à sens unique.

"Quelle pas si belle enseigne faut-il que je demande pour parler à ce crack, alors ?"

*Pas de problème pour prendre un congé, mais si je peux éviter de visiter les villes d'Amérique les unes après les autres...*

Finalement, conclut-il, c'était une soirée riche en enseignements, et plutôt instructive. S'il obtenait ce petit détail, elle le deviendrait un peu plus.

"En tous cas, ne te sens pas gênée d'en abimer un ou deux de ma part, hein."

Elle poussa un soupir. Manifestement, elle était le genre de femme qui aimait que les choses soient rapidement exécutées, et les questions ou incompréhensions avaient le don d'attaquer une patience qui était sans doute moins imposante que sa poitrine.

"Ne cherche pas une enseigne. En tout cas, pas une enseigne d'école. Et ne va pas à l'école des bouffons, ils t'apprendront rien, mis à part dessiner une cible sur ton cul pour que quelqu'un vienne le botter. Trouve-le. Et à ce moment là, tu mériteras d'avoir ses cours."

Elle hocha la tête histoire de mieux appuyer ses propos, puis continua avec son sourire je-te-prends-pour-un-débile.

"Parce que moi, je n'en donne pas."

"Oh, un jeu de piste alors ! Très bien, c'est noté."

Certes, c'était vague, mais Ryan savait deux choses : il y était question de mutants, et dans la liste des possibilités figurait une école à éviter, même si quelque chose lui soufflait qu'elle ne s'appelait pas littéralement "L'Ecole des Bouffons". La quête rappelait un peu celle du héros du roman fantastique qui chercherait à contacter le Roi des voleurs, et ça ne lui déplaisait absolument pas d'être un héros.

*Et bien je sais quoi faire ce soir...*

Plutôt qu'aller boire un verre, il rechercherait de la doc sur ce "mystérieux insigne". En plus, il souhaitait une période de récupération après avoir approché Hope de près, histoire de faire un point sur lui-même.

Avec un sourire sincère, il plia légèrement le buste en guise de salut.

"Sincères remerciements, Milady. Et peut-être à bientôt."

Il tourna les talons et prit la direction de son appartement le coeur léger. Il ne savait quoi trop attendre de ces informations, mais il supposait que ce ne pouvait être que positif.